Des territoires traversés et remodelés par des mobilités complexes

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Dans cette leçon, tu découvres comment l’Afrique australe, traversée par des migrations, des routes de transit et un fort essor touristique, se transforme sous l’effet des mobilités humaines. Entre intégration régionale, mondialisation et inégalités persistantes, la région cherche à concilier dynamisme économique et développement durable. Mots-clés : Afrique australe, SADC, migrations, tourisme, corridors de développement, mondialisation.

Introduction

L’Afrique australe, au sens de la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC, organisation régionale fondée en 1992), regroupe 16 États membres : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Comores, Eswatini, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo (RDC), Seychelles, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe. Au sens géographique strict, on parle d’Afrique australe pour désigner le noyau continental formé par l’Afrique du Sud et ses voisins directs — Namibie, Botswana, Zimbabwe, Mozambique, Lesotho et Eswatini. Cette région, qui compte environ 350 millions d’habitants (ONU, 2024), est aujourd’hui traversée par des mobilités humaines complexes : migrations économiques et politiques, routes de transit internationales et flux touristiques liés à l’essor du safari et de l’écotourisme.

Ces circulations dynamisent certains territoires, mais creusent aussi de nouvelles inégalités sociales et spatiales, révélant les contrastes d’une région à la fois intégrée à la mondialisation et confrontée à ses fragilités.

Des migrations anciennes et diverses : travail, exil et mobilité régionale

Les migrations économiques en Afrique australe sont profondément enracinées dans l’histoire. Dès la découverte des diamants à Kimberley (1867) et de l’or à Johannesburg (1886), la région attire une main-d’œuvre étrangère issue du Lesotho, du Mozambique, du Malawi et du Zimbabwe. Ces flux de mineurs, encadrés par des contrats stricts, ont structuré dès le XIXe siècle un espace économique régional interdépendant.

Aujourd’hui, les migrations de travail se poursuivent : des centaines de milliers de travailleurs étrangers viennent en Afrique du Sud pour occuper des emplois dans les mines, l’agriculture ou le bâtiment. Ces migrations intra-régionales (à l’intérieur de la SADC) constituent une source majeure de revenus pour les familles restées dans les pays d’origine.

Les migrations politiques et humanitaires complètent ce tableau. Les crises au Zimbabwe, au Mozambique (dans la province du Cabo Delgado, en proie à une insurrection islamiste) ou en RDC ont provoqué d’importants déplacements de populations. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (United Nations High Commissioner for Refugees, UNHCR), on dénombre environ 1,2 million de réfugiés et demandeurs d’asile dans la région, principalement en Afrique du Sud, en Zambie, au Malawi et au Mozambique.

L’Afrique du Sud reste le principal pôle d’attraction : elle compte environ 2,9 à 3 millions d’étrangers selon l’Organisation internationale pour les migrations (International Organization for Migration, OIM, 2023). Ces chiffres, parfois contestés, témoignent du poids migratoire du pays le plus industrialisé du continent.

Mais cette centralité engendre des tensions : les violences xénophobes récurrentes contre les migrants zimbabwéens ou mozambicains traduisent le mécontentement social d’une population confrontée au chômage et aux inégalités.

À retenir

Les migrations, qu’elles soient économiques, politiques ou régionales, façonnent depuis plus d’un siècle les territoires d’Afrique australe. Elles contribuent au dynamisme économique, tout en révélant les tensions sociales et identitaires de la région.

Des routes de transit et des corridors de développement : l’Afrique australe au carrefour des mobilités africaines

Depuis les années 2000, l’Afrique australe est devenue un espace de transit migratoire reliant la Corne de l’Afrique (Éthiopie, Somalie, Érythrée) et les Grands Lacs (Burundi, Rwanda) à l’Afrique du Sud. Certains migrants cherchent à s’y installer, d’autres à poursuivre leur route vers l’Europe ou le Moyen-Orient, via des réseaux de passeurs.

Ces flux se concentrent le long de corridors de développement — c’est-à-dire de grands axes routiers, ferroviaires et logistiques reliant les zones intérieures aux ports maritimes pour favoriser la circulation des biens et des personnes. Le Maputo Development Corridor, par exemple, relie Johannesburg au port de Maputo (Mozambique) : la modernisation des routes et des autoroutes a entraîné le développement d’une zone logistique dynamique, l’arrivée d’investisseurs sud-africains et la création de milliers d’emplois. De même, le corridor de Nacala (entre la Zambie, le Malawi et le Mozambique) facilite le commerce régional et soutient la croissance urbaine autour des axes de transit.

Ces infrastructures, promues par la SADC, participent à l’intégration régionale — c’est-à-dire au renforcement des liens économiques et politiques entre les États membres. L’ouverture du poste-frontière unique de Kazungula entre le Botswana et la Zambie illustre cette volonté d’accélérer les échanges et de simplifier la circulation.

Cependant, cette connectivité accrue s’accompagne d’effets pervers : montée des trafics (êtres humains, armes, marchandises illégales), précarité des migrants et déséquilibres entre territoires connectés et espaces ruraux marginalisés.

À retenir

Les corridors de développement dynamisent la région et favorisent l’intégration régionale, mais ils renforcent aussi les contrastes entre zones bien connectées et régions enclavées.

Le tourisme, entre valorisation économique et pressions environnementales

Le tourisme international constitue un autre moteur majeur de mobilité. L’Afrique australe mise sur ses paysages et sa biodiversité pour attirer des visiteurs du monde entier. L’écotourisme, c’est-à-dire le tourisme centré sur la nature et respectueux de l’environnement, s’y est fortement développé.

Les safaris dans les parcs du Kruger (Afrique du Sud), du Chobe (Botswana) et de l’Etosha (Namibie) attirent plusieurs millions de touristes chaque année. Le delta de l’Okavango, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, et les chutes Victoria (frontière Zambie–Zimbabwe) symbolisent cette richesse naturelle.

Des programmes communautaires d’écotourisme participatif — forme d’écotourisme où les communautés locales gèrent directement les infrastructures et les revenus — ont vu le jour, notamment au Botswana, dans le Okavango Community Trust. Ces initiatives ont permis aux populations rurales de tirer profit du tourisme, mais elles restent vulnérables : une baisse de fréquentation, comme celle observée pendant la pandémie de Covid-19, peut fragiliser tout un territoire.

Le tourisme exerce également une pression écologique croissante. Dans le Cap-Occidental, la forte consommation d’eau des infrastructures touristiques accentue la pénurie hydrique. Autour des grands parcs, des conflits fonciers opposent parfois les communautés locales aux autorités de conservation, les premières dénonçant l’accaparement des terres ou la restriction de leurs activités agricoles.

À retenir

Le tourisme, moteur économique et symbole d’un développement durable, reste dépendant des marchés étrangers et exerce une pression sur les milieux naturels. Les programmes communautaires tentent d’en faire un levier de développement local plus équitable.

Des mobilités qui redéfinissent les territoires et révèlent de nouvelles inégalités

Les différentes formes de mobilité — migrations, transit, tourisme — transforment en profondeur les territoires. Les grandes métropoles comme Johannesburg, Cape Town, Maputo ou Lusaka deviennent des carrefours migratoires où se mêlent populations locales, travailleurs étrangers et expatriés. Ces espaces, connectés à la mondialisation, concentrent les richesses et les services, accentuant le contraste avec les campagnes délaissées.

Les zones rurales du Limpopo (Nord de l’Afrique du Sud), autrefois dépendantes de l’agriculture, peinent à profiter des retombées économiques du Maputo Development Corridor. De même, les villes moyennes situées à l’écart des grands axes, comme Bulawayo au Zimbabwe ou Tsumeb en Namibie, subissent une stagnation économique tandis que les pôles touristiques ou logistiques s’enrichissent.

Cette géographie inégale révèle un paradoxe : les mobilités stimulent la croissance mais renforcent les fractures sociales et territoriales. Les bénéfices des flux touristiques et migratoires profitent aux acteurs les mieux intégrés — entreprises, élites urbaines, investisseurs étrangers — tandis que les populations locales restent souvent cantonnées aux emplois précaires ou informels.

À retenir

Les mobilités renforcent la polarisation territoriale : les métropoles, corridors et zones touristiques se modernisent, tandis que les régions rurales et enclavées s’éloignent des dynamiques de développement.

Conclusion

L’Afrique australe apparaît aujourd’hui comme un carrefour de mobilités complexes, où s’entremêlent migrations de travail, transit international et flux touristiques mondialisés. Ces circulations redessinent les territoires, créent des corridors de développement et valorisent les ressources naturelles, mais elles génèrent aussi des tensions sociales, des pressions environnementales et des inégalités spatiales accrues.

Pour transformer ces mobilités en levier de développement durable, les États de la SADC devront renforcer la coopération régionale, encadrer les activités touristiques et mieux intégrer les communautés locales dans la gestion des territoires. C’est à cette condition que l’Afrique australe pourra concilier dynamisme économique, équité sociale et préservation environnementale dans un espace en pleine mutation.