Introduction
Des plaines céréalières d’Île-de-France aux forêts amazoniennes, les espaces ruraux sont aujourd’hui traversés par des tensions croissantes autour de l’usage des sols et des ressources. La mondialisation des échanges, la transition énergétique et les mutations agricoles multiplient les conflits d’usage, c’est-à-dire les oppositions entre différents projets ou besoins sur un même territoire. Ces tensions peuvent se jouer à l’échelle locale, lorsqu’un village débat d’un projet éolien, et s’étendre à l’échelle internationale lorsque des États ou des organisations négocient l’accès à des ressources stratégiques. Leur intensité reflète la recomposition rapide des campagnes et la concurrence entre fonctions agricoles, résidentielles, industrielles, environnementales et récréatives.
Les enjeux fonciers : accaparement et concurrence entre usages
La terre est une ressource limitée et convoitée. Dans les pays développés, la pression foncière s’accentue en périphérie des villes, où les terres agricoles sont parfois converties en zones résidentielles, industrielles ou commerciales. Cette artificialisation des sols réduit les surfaces cultivables et fragilise certaines filières agricoles, tout en faisant monter les prix du foncier.
Dans les pays émergents ou en développement, l’accaparement des terres par de grands investisseurs – nationaux ou étrangers – alimente les tensions. À Madagascar ou en Éthiopie, de vastes superficies sont acquises pour produire à grande échelle des denrées destinées à l’exportation ou des agrocarburants, au détriment de l’agriculture vivrière locale.
Même à plus petite échelle, la concurrence est forte entre agriculture, production d’énergie (parcs éoliens, panneaux solaires au sol qui peuvent réduire la surface agricole utile, sauf lorsqu’ils sont intégrés à des systèmes d’agri-voltaïsme permettant la cohabitation avec certaines cultures ou pâturages), infrastructures de transport et activités touristiques. Dans certaines zones, cette rivalité existe aussi entre différents modèles agricoles, comme l’agriculture intensive et l’agroécologie, qui n’ont pas les mêmes besoins en foncier ni les mêmes impacts environnementaux.
À retenir
Les conflits fonciers opposent des usages concurrents sur un espace limité et peuvent aussi mettre en tension différents modèles agricoles.
Les conflits environnementaux : protéger ou exploiter ?
Les espaces ruraux concentrent une grande partie des ressources naturelles, ce qui les place au cœur des conflits environnementaux. La création d’aires protégées peut entrer en concurrence avec les besoins agricoles ou miniers, comme en République démocratique du Congo, où l’extension du parc national de Virunga – surtout connu pour les tensions liées à l’exploitation pétrolière et minière – limite aussi l’accès à certaines zones utilisées auparavant pour l’agriculture ou la pêche.
Les projets d’exploitation de ressources – mines, carrières, forages pétroliers ou gaziers – suscitent également des oppositions locales et internationales, notamment lorsque les impacts environnementaux (pollution des eaux, déforestation, perte de biodiversité) sont jugés excessifs.
En France, des tensions apparaissent autour de la gestion de l’eau : les mégabassines destinées à l’irrigation agricole sont contestées par des associations environnementales qui défendent une gestion plus sobre et partagée de la ressource. Dans d’autres cas, des projets d’aménagement touristique, comme l’implantation de remontées mécaniques en zones de montagne sensibles, déclenchent des mobilisations pour préserver les paysages.
À retenir
Les conflits environnementaux naissent de l’opposition entre exploitation des ressources et préservation des écosystèmes, dans un contexte de transition écologique.
Les tensions entre acteurs locaux, régionaux et internationaux
Les recompositions rurales mettent en présence une diversité d’acteurs aux intérêts parfois divergents : agriculteurs, élus locaux, habitants, entreprises, associations, ONG, institutions publiques nationales ou internationales.
À l’échelle locale, un projet de parc éolien ou de zone logistique peut opposer partisans du développement économique et défenseurs de la qualité de vie ou de l’environnement. À l’échelle régionale ou nationale, les politiques d’aménagement du territoire peuvent entrer en conflit avec des projets portés par les collectivités locales.
Au niveau international, la tension se manifeste lorsque des accords commerciaux ou des investissements étrangers modifient les structures de production, ou lorsque des organismes internationaux (Banque mondiale, FAO) financent des projets qui transforment en profondeur l’usage des terres.
À retenir
Les conflits d’usage impliquent souvent plusieurs échelles d’acteurs, ce qui complique leur résolution et exige des mécanismes de dialogue.
Les mécanismes de régulation et de gouvernance
Pour limiter et résoudre ces tensions, différents dispositifs existent. Les documents d’urbanisme (plans locaux d’urbanisme, schémas de cohérence territoriale) fixent des règles d’utilisation des sols. Les procédures de concertation publique et les enquêtes environnementales permettent aux citoyens et aux associations de s’exprimer sur les projets d’aménagement.
Les politiques publiques soutiennent la gestion durable des ressources, comme la Politique agricole commune (PAC) en Europe qui finance à la fois la production et les pratiques environnementales. Des instances de gouvernance locale, telles que les parcs naturels régionaux, favorisent la coopération entre acteurs économiques, élus et habitants.
À l’échelle internationale, des accords visent à encadrer l’exploitation des ressources (Accord de Paris sur le climat, conventions sur la biodiversité) et à protéger les droits des communautés locales.
À retenir
La régulation passe par la planification, la concertation et des politiques intégrant à la fois les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.
Conclusion
Les conflits d’usage dans les espaces ruraux traduisent la tension entre des besoins multiples sur un espace limité : produire, habiter, protéger, exploiter. Leur intensité est amplifiée par la mondialisation, les transitions écologique et énergétique, et les évolutions démographiques. La clé réside dans des modes de gouvernance capables d’articuler les échelles locales, régionales et internationales, et de prendre en compte la diversité des modèles agricoles, afin de concilier développement et préservation des ressources pour les générations futures.
