Balzac, La peau de chagrin

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Cette œuvre, publiée en 1831, s'inscrit dans le parcours « les romans de l'énergie : création et destruction ».

I. L’auteur et les contextes historique et culturel

1) Éléments de biographie

Balzac naissait à Tours en 1799 dans une famille qui le destinait à devenir notaire. Mais il se tourna très tôt vers l’écriture et rencontra son premier succès en 1829 avec le roman historique Les Chouans. Dès lors, il écrivit deux à trois romans par an afin de mener à bien son projet de devenir l’historien des mœurs de la société française depuis la Révolution. En 1842, il donna à son œuvre le titre générique de la Comédie humaine et l’organise en diverses « Études » : « analytiques », « philosophiques » et de « mœurs », qui se subdivisent en « scènes de la vie privée », « scènes de la vie de province » et « scènes de la vie parisienne ». Balzac écrivit 91 romans (sur les 137 prévus) et mourra d’épuisement à 51 ans.

2) Contextes historiques et culturel

Balzac est né durant le consulat de Bonaparte qui fait suite au Directoire (cinq hommes dirigeant la première république après la Révolution française). En 1804, Napoléon devient empereur et c’est le début du premier Empire. Il abdique en 1814 et la monarchie est rétablie avec Louis XVIII qui remonte sur le trône. Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe où il est prisonnier et reprend le pouvoir en mars 1815 (début des Cent-Jours). La défaite de Waterloo le 18 juin 1815 met définitivement fin à l’Empire et Louis XVIII redevient roi. À sa mort en 1824, son frère Charles X lui succède. Ce dernier, trop conservateur, est chassé du pouvoir par la révolution populaire de juillet 1830 et est remplacé par Louis-Philippe, renversé à son tour par la révolution de 1848. La 2e République est alors proclamée et le neveu de Napoléon 1er en est élu président. L’intrigue de La Peau de chagrin débute à la fin du mois d’octobre 1830 à Paris, c’est-à-dire trois mois après la Révolution de juillet (ou Trois Glorieuses).

3) Le réalisme

C’est le mouvement littéraire qui domine le XIXe siècle (Stendhal, Flaubert) dans le roman. Le réalisme balzacien consiste en de longues descriptions des milieux dans lesquels évoluent les personnages (les cadres passent avant les portraits). Les portraits physiques arrivent ainsi dans un deuxième temps et sont également très détaillés. Pour Balzac, les vêtements, le visage et le comportement des personnages révèlent leur caractère. Chaque personnage représente un type psychologique et/ou social : l’avare, le criminel, la femme vertueuse…

4) Le fantastique

Il naît lorsque le lecteur hésite entre une explication rationnelle et une explication irrationnelle pour analyser un phénomène surnaturel. C’est ce qui se produit avec la peau et ses pouvoirs.

II. Le titre

Il fait allusion au talisman qu’un vieil antiquaire donne au personnage principal au début du roman. Il plonge directement le lecteur dans un univers fantastique puisque cette peau d’onagre a des pouvoirs magiques.

III. Structure et résumé de l'œuvre

  • 1re partie : le talisman. Raphaël perd son dernier louis d’or dans une maison de jeu à Paris à la fin du mois d’octobre 1830. Il décide d’attendre la nuit pour se jeter dans la Seine et entre chez un antiquaire. Âgé de 102 ans, ce dernier lui explique « le grand mystère de la vie humaine » : « Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit [...] » (citation à mémoriser) S’il est parvenu à un âge aussi avancé c’est qu’il s’est contenté de voir et de savoir. Le vieil homme montre à Raphaël une peau de chagrin accrochée à un mur et lui précise qu’elle exauce tous les désirs de son possesseur mais qu’à chaque vœu exaucé, sa surface diminue en même temps que la vie de son propriétaire. Raphaël relève le défi de vérifier si cela est vrai. Que risque-t-il puisqu’il est décidé à mourir ? Ses premiers souhaits sont de participer à un somptueux festin et de voir le vieil antiquaire tomber amoureux d’une jeune danseuse. À peine sorti du magasin, il tombe sur ses anciens amis qui l’invitent à un banquet. Raphaël raconte alors à Émile pourquoi il a eu envie de se suicider.
  • 2e partie : la femme sans cœur. Raphaël raconte sa jeunesse passée à étudier le droit et sa tentative de sauver son père de la ruine. À la mort de ce dernier, il n’a que 1 112 francs en poche : il loue une mansarde et donne des leçons de piano à la fille de la logeuse, Pauline. Sans relations pour entrer dans le grand monde, il tente de réussir via son talent. Il écrit une comédie et un traité de philosophie qui sont deux échecs. Trois ans plus tard, il rencontre Rastignac, un jeune garçon qui lui dit que travailler ne sert à rien et que l’essentiel est de paraître dans le monde. Il l’invite chez la comtesse Fœdora, la femme la plus en vue de Paris et Raphaël tombe amoureux d’elle. Lorsqu’il lui avoue son amour, elle se moque de lui et le repousse. Désespéré, Raphaël suit les conseils de Rastignac et se livre à la débauche pour oublier Fœdora. Il finit ruiné et souhaite devenir riche. Son vœu est exaucé car il hérite d’un parent éloigné mais la peau a considérablement rétréci.
  • 3e partie : l’agonie et l’épilogue . Pauline, devenue (riche également), et Raphaël vivent une passion intense et la peau rétrécit de plus en plus en raison des souhaits exaucés de Raphaël. Il fait appel à des scientifiques pour expliquer les pouvoirs de la peau et à des médecins pour essayer de le guérir car il tousse de plus en plus. Il quitte Paris pour vivre chez des paysans en Auvergne afin de ne plus rien désirer. Mais il rentre à Paris retrouver Pauline qui tente elle-même de se suicider pour que Raphaël ne la désire plus. Celui-ci meurt dans ses bras.
  • Épilogue : Pauline est devenue un personnage immatériel qui se confond avec les éléments. L’amour absolu qu’elle incarne n’a pas pu vivre dans un monde sans idéal. Fœdora, quant à elle, continue à briller dans les salons : elle est à l’image de la société, sans cœur, égoïste et matérialiste.

IV. Les thèmes et mots-clés

  • L’énergie vitale : tout individu dispose à sa naissance d’une certaine énergie à dépenser. Il faut choisir de la consommer soit en étant avare soit avec excès. Le vieillard a choisi de vivre par la pensée et le savoir afin de s’économiser physiquement. Dans la 3e partie du roman, il reconnaît s’être trompé et vit pleinement au bras d’une courtisane. Pour s’extraire de la monotonie de l’existence, l’excès devient indispensable (thèse de Rastignac). Le roman pose ce dilemme sans le résoudre : vaut-il mieux vivre intensément en réduisant son espérance de vie ou choisir une vie fade afin de vivre plus longtemps ?
  • Le désir : de manière plus générale, le roman se situe au début des Études philosophiques car il propose une réflexion sur le désir. Faut-il chercher à satisfaire tous ses désirs pour être heureux ?
  • L’échec : il s’agit d’un thème central du roman. Celui de l’échec individuel de Raphaël (il ne réalise aucun de ses rêves : sauver son père de la faillite, devenir un grand écrivain, se faire aimer de Fœdora) et celui de l’échec de toute une génération qui a fait la Révolution de Juillet. Cette révolution aura été vaine car tous les espoirs de la jeunesse sont déçus (un autre roi succède à Charles X et la République devra attendre 1848 pour être mise en place).
  • Le désenchantement : c’est le maître-mot de la jeunesse des années 1830 et un mot que l’on retrouve souvent chez les Romantiques (Musset, Lamartine, Chateaubriand, Vigny). Dans un monde où l’argent est roi, le talent n’est pas reconnu et les jeunes gens en quête d’idéal, de liberté, de progrès et de justice ne voient pas l’intérêt de vivre dans un tel monde. La tentation du suicide est fréquente chez plusieurs d’entre eux.
  • Le pacte avec le diable : le mythe de Faust existe dans la littérature depuis le XVIe siècle (théâtre élisabéthain avec Christopher Marlowe). Goethe, le grand romancier allemand, a déjà publié une 1re version de son Faust en 1790, soit 40 ans avant La peau de chagrin. La version définitive, considérée comme l’œuvre la plus importante de la littérature allemande, paraît en 1808 sous la forme d’une pièce de théâtre. Faust y est présenté comme un homme admiré par le peuple pour sa sagesse, épris de connaissance profonde. Accablé par l'insignifiance de son savoir et désespérant de ne rien découvrir qui puisse le satisfaire, il signe un pacte avec Méphistophélès. Celui-ci doit l'initier aux jouissances terrestres et le servir fidèlement dans ce monde. En échange de cela, Faust s'engage à lui livrer son âme dès qu'il passera dans l'autre monde. D’autres écrivains comme Gérard de Nerval ont également réécrit le mythe.