Introduction
Lorsqu’un citoyen glisse son bulletin dans l’urne, il pense choisir un candidat ou un parti. Pourtant, la manière dont ce vote se transforme en siège dépend d’une règle essentielle : le mode de scrutin. Celui-ci détermine comment la volonté des électeurs devient une représentation politique, c’est-à-dire la manière dont des élus, choisis par le peuple, portent sa voix et défendent ses intérêts au sein des institutions.
Sous la Cinquième République, instaurée en 1958 par Charles de Gaulle (1890-1970, chef de la France libre et premier président de ce régime), le scrutin majoritaire a été privilégié afin de dégager des majorités stables, dans un souci d’efficacité gouvernementale. Mais ces modes de scrutin n’ont pas les mêmes effets sur la vie démocratique : certains favorisent la stabilité du pouvoir, d’autres la diversité des opinions.
Comment ces systèmes traduisent-ils la volonté des citoyens ? Et en quoi façonnent-ils la représentation politique ?
Qu’est-ce qu’un mode de scrutin ?
Un mode de scrutin détermine la manière dont les suffrages exprimés sont convertis en sièges. Il existe deux grands types : le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Mais avant de les distinguer, il faut comprendre les deux formes techniques d’élection.
Dans un scrutin uninominal, chaque électeur choisit un seul candidat pour un seul siège, comme lors des élections législatives (élections servant à désigner les députés qui siègent à l’Assemblée nationale et votent les lois).
Dans un scrutin de liste, les électeurs votent pour une liste de candidats présentée par un parti. Plus le parti obtient de voix, plus il obtient de sièges. Ce système est utilisé notamment pour les élections européennes, où les Français élisent plusieurs députés en une seule fois.
Ces deux modèles, simples en apparence, traduisent des conceptions différentes de la démocratie : faut-il privilégier la clarté du pouvoir ou la diversité des représentations ?
À retenir
Un mode de scrutin détermine la manière dont les suffrages exprimés sont convertis en sièges.
Le scrutin majoritaire : simplicité et stabilité politique
Fonctionnement
Le scrutin majoritaire repose sur un principe clair : celui qui obtient le plus de voix gagne. Sous la Cinquième République, instaurée en 1958, ce système s’applique à la fois à l’élection présidentielle et aux élections législatives. Il prend principalement la forme d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours : si un candidat obtient plus de 50 % des voix au premier tour, il est élu ; sinon, un second tour départage les candidats arrivés en tête.
Dans certaines élections locales, on parle de scrutin plurinominal majoritaire lorsque plusieurs sièges sont en jeu, mais la logique reste la même : ceux qui obtiennent la majorité remportent les sièges.
Lors de l’élection présidentielle de 2022, Emmanuel Macron (né en 1977, président de la République depuis 2017, fondateur du mouvement centriste La République en marche [LREM]) a été réélu au second tour avec 58,5 % des voix contre 41,5 % pour Marine Le Pen (née en 1968, dirigeante du Rassemblement national [RN], parti d’extrême droite fondé en 1972).
Effets politiques
Le scrutin majoritaire tend à favoriser les grands partis et à marginaliser les petits. Il simplifie la vie politique autour de deux grands pôles, souvent qualifiés de gauche et de droite. La gauche rassemble les partis qui défendent l’égalité, la solidarité et un rôle fort de l’État dans l’économie. La droite, au contraire, valorise la liberté individuelle, la responsabilité et une intervention limitée de l’État.
Cette distinction, encore actuelle, trouve son origine dans la Révolution française : en 1789, à l’Assemblée, les partisans du roi siégeaient à la droite du président de séance, tandis que les réformateurs favorables au changement se tenaient à gauche.
Ce mode de scrutin peut aussi créer une distorsion entre voix et sièges. Un parti peut obtenir beaucoup de votes mais peu d’élus, tandis qu’un autre, arrivé en tête, bénéficie d’une surreprésentation. En 2017, par exemple, La République en marche (LREM) a recueilli 32 % des voix au premier tour des législatives, mais obtenu 53 % des sièges à l’Assemblée nationale. À l’inverse, des partis ayant rassemblé des millions de suffrages n’ont presque pas eu de députés. Cette disproportion alimente le sentiment de sous-représentation et de défiance à l’égard du système politique.
Le scrutin majoritaire pousse aussi les électeurs au vote utile, c’est-à-dire à voter pour un candidat susceptible de gagner plutôt que pour celui qu’ils préfèrent. Exemple : en 2002, de nombreux électeurs de gauche ont voté pour Jacques Chirac (1932-2019, président de la République de 1995 à 2007) au second tour afin d’empêcher Jean-Marie Le Pen d’accéder à la présidence. Ce type de scrutin est également utilisé au Royaume-Uni et aux États-Unis, où il renforce le bipartisme, c’est-à-dire la domination de deux grands partis.
À retenir
Le scrutin majoritaire favorise la stabilité politique et permet de dégager des majorités claires, mais il déforme parfois la représentation en sous-représentant certaines opinions et en encourageant le vote utile.
Le scrutin proportionnel : équité et diversité politique
Fonctionnement
Le scrutin proportionnel consiste à répartir les sièges en proportion du nombre de voix obtenues par chaque parti. Chaque formation politique présente une liste de candidats, et plus elle obtient de voix, plus elle envoie d’élus. Ce système est jugé plus équitable, car il reflète mieux la diversité des opinions politiques. Il est utilisé en France pour les élections européennes et les élections municipales dans les grandes villes.
Lors des élections européennes de 2019, La République en marche (LREM) a obtenu 22,4 % des voix, ce qui lui a permis d’envoyer 21 députés au Parlement européen, tandis que le Rassemblement national (RN), arrivé premier avec 23,3 %, a remporté 23 sièges. Chaque voix compte : la représentation des citoyens est fidèle à la diversité de leurs choix.
Effets politiques
Le scrutin proportionnel favorise la pluralité des partis et permet à de nombreuses sensibilités d’être représentées. Les petits partis, qui n’auraient aucun élu sous un système majoritaire, peuvent ici exister politiquement. Mais cette diversité rend parfois la formation d’une majorité difficile : les partis doivent former des coalitions, c’est-à-dire s’allier pour gouverner.
C’est le cas en Allemagne, où le Parti social-démocrate (SPD) (SPD : grand parti de gauche fondé en 1875) gouverne souvent en alliance avec le Parti libéral-démocrate (FDP) (FDP : parti centriste de droite) ou les Verts. La représentation y est plus fidèle, mais la stabilité peut en souffrir, car il faut sans cesse négocier pour gouverner.
À retenir
Le scrutin proportionnel permet une représentation fidèle des électeurs et valorise la diversité politique, mais il peut compliquer la formation de majorités stables.
Les modes de scrutin et leurs effets sur la représentation politique
Les modes de scrutin ne sont pas de simples règles arithmétiques : ils façonnent le lien entre les citoyens et leurs élus. Le scrutin majoritaire amplifie la voix des grands partis et favorise l’efficacité gouvernementale, mais il peut donner aux électeurs le sentiment que certaines opinions ne sont pas représentées. Le scrutin proportionnel, au contraire, offre une image plus fidèle de la société, mais rend la gouvernance plus complexe.
Ces choix institutionnels influencent aussi le comportement des électeurs : dans un système majoritaire, on vote souvent par stratégie ; dans un système proportionnel, on vote plus librement selon ses convictions. Depuis 2022, l’Assemblée nationale compte plus de dix groupes politiques, une fragmentation inédite qui témoigne d’une crise de la représentation. L’abstention, qui atteint souvent plus de 50 % aux législatives, et la méfiance envers les partis, montrent que de nombreux citoyens doutent désormais de l’efficacité de leur voix.
À retenir
Le mode de scrutin façonne la représentation politique : le majoritaire privilégie la stabilité, le proportionnel la diversité. Mais aucun ne résout totalement la crise de confiance entre citoyens et représentants.
Conclusion
Les modes de scrutin ne sont pas de simples dispositifs techniques : ils traduisent une vision de la démocratie. Le scrutin majoritaire privilégie la stabilité et la clarté du pouvoir, tandis que le scrutin proportionnel défend l’équité et la diversité des opinions.
Le choix entre les deux révèle une tension permanente dans les démocraties modernes : faut-il un gouvernement fort ou une représentation fidèle de toutes les sensibilités ? Sous la Cinquième République, ce débat reste central, car il touche à la question essentielle de la représentation politique, ce lien fragile mais vital entre le peuple et ceux qui le gouvernent.
