Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non

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Dans cette leçon, tu vas découvrir Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, une pièce où une simple phrase mal interprétée déclenche une querelle destructrice entre deux amis. Tu comprendras comment silences, sous-entendus et incompréhensions suffisent à révéler la fragilité du langage et des liens humains. Mots-clés : Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non, théâtre contemporain, Nouveau Théâtre, dispute, langage et amitié.

Introduction

Parue en 1982 et représentée pour la première fois en 1986, Pour un oui ou pour un non est une pièce radiophonique de Nathalie Sarraute devenue l’une de ses œuvres les plus jouées. Elle s’inscrit dans le parcours « théâtre et dispute », car toute la pièce repose sur une querelle entre deux amis. À partir d’une simple phrase mal interprétée — « C’est bien, ça ? » — Sarraute montre comment les mots, les silences et les sous-entendus suffisent à détruire une amitié.

L’auteure et le contexte d’écriture

Biographie de Nathalie Sarraute

Née en 1900 en Russie, Nathalie Sarraute s’installe en France avec son père après le divorce de ses parents. Brillante étudiante, elle suit des études de langues et de droit. Avocate dans les années 1930, elle se lance aussi dans l’écriture et publie en 1939 Tropismes, texte qui fonde sa réflexion sur les micro-réactions intérieures qu’elle appelle « tropismes ». Radiée du barreau sous le régime de Vichy à cause des lois antijuives, elle poursuit son œuvre littéraire après la guerre. À partir des années 1950, elle devient une figure du Nouveau Roman par ses romans expérimentaux, mais aussi du Nouveau Théâtre par ses pièces qui rompent avec le théâtre traditionnel. Elle publie romans, essais, pièces et une autobiographie (Enfance, 1983). Elle meurt en 1999 à Paris.

Contexte historique et littéraire

Nathalie Sarraute vit les deux guerres mondiales, la Shoah et la guerre froide. Ces événements nourrissent une vision du monde marquée par le doute et la méfiance envers les certitudes.

  • Le Nouveau Roman : courant littéraire des années 1950 (Robbe-Grillet, Butor, Sarraute, Duras). Il rejette les intrigues traditionnelles et les personnages bien définis. Au lieu de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin, il explore les perceptions et les flux de conscience.

  • Le Nouveau Théâtre (ou « théâtre de l’absurde ») : courant des années 1950-1960 (Beckett, Ionesco, Adamov, Sarraute). Il met en avant le vide de la communication, les dialogues absurdes, les situations banales qui révèlent l’angoisse de l’existence. Pour un oui ou pour un non s’inscrit dans cette veine : une querelle apparemment insignifiante révèle des fractures profondes.

À retenir

Sarraute est à la fois une figure du Nouveau Roman par ses récits expérimentaux et du Nouveau Théâtre par ses pièces où la parole devient l’unique action dramatique.

Présentation de l’œuvre

Le genre

La pièce est d’abord radiophonique : elle a été écrite pour être entendue plutôt que vue. Cela explique le rôle central accordé à la parole, aux silences et aux intonations. Le spectateur/lecteur n’a pas besoin de décor ou d’action : tout se joue dans le dialogue.

La structure

La pièce ne suit pas le découpage classique en actes et scènes. On peut cependant distinguer plusieurs étapes :

  • L’exposition : deux personnages, appelés H1 et H2 (c’est-à-dire « Homme 1 » et « Homme 2 »), se retrouvent. Le fait de ne pas leur donner de nom propre est volontaire : Sarraute veut montrer que l’histoire n’est pas celle de deux individus particuliers, mais une situation universelle qui pourrait concerner n’importe qui. H1 et H2 cherchent à clarifier une tension née d’une phrase mal comprise.

  • L’intervention des voisins (H3 et F) : un couple intervient pour arbitrer la querelle. Leurs tentatives comiques échouent et ne font qu’ajouter au malaise.

  • La reprise de la dispute : après le départ des voisins, H1 et H2 reprennent leur confrontation et rouvrent de vieux reproches. La conversation s’envenime.

  • La fin : la rupture est consommée. Au lieu de se réconcilier, les deux amis se séparent définitivement.

À retenir

L’action est minimale : il ne se passe rien d’autre qu’un échange verbal. Pourtant, la dispute évolue jusqu’à détruire une amitié.

Analyse de la pièce

Les personnages

  • H1 et H2 : deux amis. H2 reproche à H1 une phrase prononcée sur un ton condescendant : « C’est bien, ça ? ». À partir de ce malentendu, leurs souvenirs et leurs rancunes refont surface. Leur absence de nom (seulement « Homme 1 » et « Homme 2 ») souligne que ce conflit est universel et peut s’appliquer à toute relation humaine.

  • H3 et F : voisins du personnage H2. Ils sont convoqués pour servir de témoins ou de juges, mais leur intervention est inutile. Ils apportent une touche comique et rappellent que les conflits intimes échappent toujours aux regards extérieurs.

Les thématiques

  • Le langage comme déclencheur : tout commence par une phrase banale. Cela montre que le langage n’est pas neutre : un mot, un ton, une expression peuvent être perçus comme blessants et devenir explosifs.

  • Les non-dits et les « tropismes » : Sarraute invente ce terme pour désigner les mouvements intérieurs, souvent imperceptibles, qui se cachent derrière les paroles. Dans la pièce, les silences, les interruptions et les points de suspension sont aussi importants que les mots.

  • L’incompréhension : chaque personnage reste enfermé dans son interprétation. Chacun pense avoir raison et refuse d’entendre l’autre. Le dialogue, au lieu d’apaiser, aggrave la querelle.

Le lien avec le parcours « théâtre et dispute »

La pièce illustre parfaitement ce parcours. La dispute est au centre de l’action, mais ici elle n’est pas un grand conflit tragique : elle naît d’une broutille. C’est ce décalage qui en fait la force. Sarraute montre que les tensions les plus profondes naissent souvent des malentendus les plus minces.

À retenir

La pièce met en scène la dispute comme révélateur de la fragilité du langage et de l’amitié.

Conclusion

Pour un oui ou pour un non est une pièce courte, dépouillée et universelle. Sarraute y explore le rôle des mots, des silences et des malentendus dans les relations humaines. Par l’absence de noms, la querelle dépasse le cas particulier et devient une situation qui pourrait arriver à chacun. Cette pièce montre que le théâtre n’a pas besoin d’action spectaculaire : une simple conversation suffit à révéler la violence des incompréhensions. Elle illustre pleinement le parcours « théâtre et dispute », en révélant que dans la vie comme sur scène, un mot mal perçu peut suffire à briser un lien.