Introduction
Au XXᵉ et au XXIᵉ siècles, le roman ne cesse de se réinventer. Les crises historiques – guerres mondiales, totalitarismes, décolonisation – ébranlent les certitudes et poussent les écrivains à interroger la voix narrative, la forme et le rôle de la fiction. De l’existentialisme aux expériences formelles du Nouveau Roman, puis aux écritures autobiographiques et hybrides d’aujourd’hui, le roman explore de nouvelles manières de dire l’expérience humaine, en dialogue constant avec le cinéma et, plus récemment, avec les écritures numériques.
Le roman existentialiste : l’homme face à l’absurde et à la liberté
Dans l’immédiat après-guerre, les écrivains s’interrogent sur le sens de l’existence humaine dans un monde marqué par l’absurde et la violence. Le roman devient un outil de réflexion philosophique, influencé par la pensée de Sartre et de Camus.
Dans La Nausée (1938), Sartre met en scène un personnage envahi par l’absurdité du monde, incapable de trouver des repères stables. Dans L’Étranger (1942), Camus raconte l’histoire de Meursault, jugé non pour son crime mais pour son indifférence et son refus de se conformer aux normes sociales.
Il est cependant important de distinguer les deux démarches. Sartre incarne l’existentialisme, qui insiste sur la liberté et la responsabilité de l’homme dans un monde sans sens préalable. Camus refuse cette étiquette : il développe une philosophie de l’absurde, qui souligne la tension entre la quête de sens des hommes et le silence du monde. Ses romans témoignent moins d’une adhésion à l’existentialisme que d’une réflexion parallèle et autonome.
À retenir
Le roman existentialiste (Sartre) et le roman de l’absurde (Camus) expriment la crise du sens après la guerre. Ils explorent la liberté, la responsabilité et l’absurde, chacun selon une perspective philosophique distincte.
Le Nouveau Roman : crise du personnage, révolution du regard
Le Nouveau Roman ne surgit pas ex nihilo dans les années 1950. Dès 1939, Nathalie Sarraute, dans Tropismes, esquisse déjà une écriture qui rompt avec les schémas traditionnels. Elle y capte des mouvements intérieurs imperceptibles, ces « tropismes » qui traduisent les micro-réactions de la conscience. Ce texte préfigure les bouleversements à venir.
Dans les décennies suivantes, Robbe-Grillet, Sarraute, Butor et Duras, publiés aux Éditions de Minuit, affirment une rupture radicale. Robbe-Grillet, dans La Jalousie (1957), remplace l’action par la description minutieuse et obsessionnelle. Butor, dans La Modification (1957), adopte la deuxième personne du singulier, plaçant le lecteur au cœur du récit. Duras, dans Moderato Cantabile (1958), privilégie les silences et les non-dits.
Le terme même de « Nouveau Roman » est forgé par les critiques, notamment Émile Henriot en 1957, pour désigner cette génération d’écrivains. Les auteurs n’ont pas formé de mouvement organisé, mais leurs innovations convergentes ont suffi à définir une nouvelle ère du roman.
Le personnage perd sa centralité, l’intrigue se fragmente, la chronologie se brouille. Ce courant transforme le roman en une expérience de langage et de perception, plutôt qu’en simple narration d’événements.
À retenir
Le Nouveau Roman, amorcé par Tropismes de Sarraute, est nommé ainsi par la critique. Il remet en cause le personnage et l’intrigue, et explore le langage, la perception et la conscience.
Voix contemporaines : autobiographie, autofiction, hybridations
Depuis les années 1980, le roman se tourne vers l’intime, mais en renouvelant ses formes. Annie Ernaux, dans Les Années (2008), mêle sa vie personnelle à l’histoire collective, créant une autobiographie impersonnelle où le « je » devient « nous ». Patrick Modiano explore la mémoire et l’oubli, en particulier autour de la Seconde Guerre mondiale (Dora Bruder, 1997). Michel Houellebecq, dans Les Particules élémentaires (1998), propose une vision critique et provocante de la société contemporaine, mêlant fiction sociale et anticipation.
À leurs côtés, J. M. G. Le Clézio, prix Nobel de littérature en 2008, occupe une place centrale. Ses romans explorent les marges géographiques et humaines, le rapport à la nature et aux civilisations non occidentales (Désert, 1980). Il inscrit le roman contemporain dans une réflexion globale sur le monde, ses fractures et ses possibles réconciliations.
Ces écritures correspondent à l’essor de l’autofiction, terme forgé par Serge Doubrovsky en 1977, qui désigne une écriture où l’auteur transforme sa vie en matière romanesque. Elles brouillent les frontières entre mémoire individuelle, histoire collective et invention littéraire, et s’ouvrent à d’autres arts et discours (essai, enquête, poésie, cinéma).
À retenir
Les voix contemporaines (Ernaux, Modiano, Houellebecq, Le Clézio) brouillent les frontières entre autobiographie et fiction. Le roman devient hybride, ancré dans l’intime comme dans le monde.
Le roman, un art en dialogue : cinéma et écritures numériques
Le roman du XXᵉ siècle entretient un dialogue constant avec le cinéma. Dès ses débuts, le cinéma s’inspire de techniques déjà présentes dans la littérature, comme le flashback, le récit fragmenté ou la multiplication des points de vue. Mais l’influence est réciproque : en retour, la littérature s’imprègne du rythme, de la force visuelle et des procédés de montage du cinéma. Marguerite Duras illustre cette porosité en étant à la fois romancière et cinéaste, tandis que l’écriture de Modiano évoque l’atmosphère du film noir.
Au XXIᵉ siècle, le roman s’inspire aussi des écritures numériques. Les blogs, forums et réseaux sociaux influencent le style et la structure de certains récits. Des auteurs expérimentent avec le fragment, l’hypertexte ou les références visuelles et sonores, brouillant les frontières entre littérature, journalisme, cinéma et jeux narratifs.
Ainsi, le roman n’est pas un art isolé : il évolue dans un réseau d’échanges avec les autres médias, qui le nourrissent autant qu’il les inspire.
À retenir
Le roman et le cinéma se sont influencés mutuellement, partageant leurs techniques narratives. Aujourd’hui, les écritures numériques prolongent ce dialogue et renouvellent la manière de raconter.
Conclusion
Le roman du XXᵉ et du XXIᵉ siècle est une histoire de métamorphoses. De l’angoisse existentialiste à l’expérimentation du Nouveau Roman, des récits de mémoire aux écritures hybrides contemporaines, il explore sans cesse de nouvelles façons de dire l’homme et son monde. En s’enrichissant des échanges avec le cinéma et les technologies numériques, il prouve qu’il demeure un art vivant, capable de témoigner des bouleversements du siècle et d’offrir une réflexion toujours renouvelée sur la condition humaine.
