Introduction
L’École joue un rôle fondamental dans les sociétés démocratiques : elle transmet des savoirs et des valeurs, prépare à l’insertion professionnelle et contribue à la formation du citoyen. Elle est aussi investie d’une mission politique et sociale : garantir une égalité des chances en permettant à chacun de s’élever selon ses mérites scolaires, et non selon son origine sociale.
Cette double fonction — éducative et sélective — fait de l’École un instrument central de mobilité sociale, mais aussi un lieu de reproduction possible des inégalités. Les tensions entre idéal méritocratique et inégalités persistantes sont au cœur des débats sur le rôle de l’École dans les trajectoires sociales.
L’École, institution de transmission et de socialisation
L’École transmet des savoirs disciplinaires (mathématiques, histoire, sciences, etc.), des compétences clés (expression orale, raisonnement logique, autonomie), ainsi que des valeurs communes, telles que la laïcité, le respect des règles ou l’égalité. Elle assure une socialisation secondaire, complémentaire à celle de la famille, en préparant les élèves à leur future vie professionnelle et citoyenne.
Ce processus passe par l’apprentissage de normes explicites (ponctualité, respect des consignes) et de codes implicites (langage académique, posture attendue), qui sont plus ou moins bien maîtrisés selon l’origine sociale.
Exemple : savoir structurer un discours, utiliser un vocabulaire précis ou argumenter une idée sont des compétences attendues, mais inégalement distribuées selon les milieux.
L’École repose aussi sur une logique de sélection académique : elle classe les élèves selon des critères scolaires supposés objectifs, à travers les notes, les examens et les diplômes. Ce classement détermine l’accès aux différentes filières et aux niveaux d’étude, puis influe sur les trajectoires professionnelles.
À retenir
L’École transmet des savoirs, des compétences et des valeurs. Elle classe les élèves selon leurs performances scolaires dans une logique de sélection fondée sur des critères académiques.
L’École entre massification et idéal d’égalité des chances
L’égalité des chances est un principe selon lequel chaque élève, quel que soit son milieu d’origine, doit pouvoir accéder aux meilleures positions s’il en a les capacités. Elle se distingue de l’égalité des résultats, qui impliquerait que tous obtiennent les mêmes performances. L’École vise la première, mais non la seconde.
Depuis les années 1960, on observe une massification scolaire : allongement de la scolarité, augmentation du nombre de bacheliers et d’étudiants. Cette démocratisation de l’accès est une démocratisation quantitative. Mais la démocratisation qualitative — c’est-à-dire la réduction des écarts de réussite entre milieux sociaux à niveau scolaire équivalent — reste plus difficile à atteindre.
Exemple : un enfant d’ouvrier et un enfant de cadre peuvent obtenir le baccalauréat, mais leurs chances d’intégrer une grande école restent inégales.
L’École permet donc une certaine mobilité sociale ascendante, mais cette mobilité est partielle et différenciée. En théorie, les diplômes permettent de dépasser sa position sociale d’origine ; en pratique, les inégalités de trajectoires persistent.
À retenir
L’École cherche à assurer l’égalité des chances, mais la massification scolaire n’a pas suffi à garantir une égalité réelle des parcours. La démocratisation reste surtout quantitative.
Des inégalités de réussite et d’orientation selon les origines sociales
De nombreuses recherches ont montré que l’École contribue aussi à la reproduction sociale. Raymond Boudon explique, par la logique des choix rationnels différenciés, que les familles populaires tendent à privilégier les filières les plus sûres à court terme, alors que les familles favorisées osent les filières longues, même à résultats égaux.
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron vont plus loin en affirmant que l’École exerce une violence symbolique : elle légitime des savoirs et des façons d’être spécifiques aux classes supérieures. Cette reproduction passe par l’habitus, c’est-à-dire un ensemble de dispositions incorporées, façonnant la manière de penser, d’agir et de percevoir le monde. Elle repose aussi sur l’inégale répartition du capital culturel, qui désigne l’ensemble des ressources culturelles détenues par une personne (maîtrise du langage, familiarité avec les œuvres, références implicites), souvent transmises par la famille.
Exemple : un élève dont la famille a un fort capital culturel (livres à la maison, sorties culturelles, langage soutenu) sera plus à l’aise avec les attentes scolaires.
Ces inégalités concernent :
Les résultats scolaires (écarts de notes, de réussite aux examens).
Les choix d’orientation (filtrage entre filières générales, technologiques ou professionnelles).
À retenir
Les inégalités scolaires s’expliquent en partie par les ressources culturelles et les stratégies des familles. L’École reproduit en partie les hiérarchies sociales existantes.
Une mobilité réelle mais fragilisée
La réussite scolaire est un facteur de mobilité sociale, mais cette mobilité est limitée par plusieurs phénomènes :
L’inflation scolaire désigne la hausse globale du niveau de diplôme dans la population, accompagnée d’une perte de valeur relative des diplômes sur le marché du travail.
Le déclassement scolaire apparaît lorsque le diplôme obtenu ne permet pas d’accéder à un emploi correspondant.
Exemple : un diplômé de master occupant un emploi peu qualifié dans la vente ou la logistique incarne un déclassement.
Il est aussi essentiel de distinguer :
La mobilité observée, qui inclut les effets mécaniques de la transformation de la structure sociale (ex. : plus de cadres dans la société).
La mobilité nette, qui mesure la mobilité indépendante de ces effets.
Exemple : si les enfants de cadres restent cadres, même dans une société où le nombre de postes de cadres a augmenté, la mobilité nette est faible.
Enfin, la segmentation du marché du travail (entre emplois stables et précaires) réduit la capacité du diplôme à garantir une insertion valorisée. Les discriminations liées au genre, à l’origine migratoire ou au territoire viennent encore compliquer ces parcours.
À retenir
L’École permet une mobilité réelle, mais fragile. L’inflation scolaire, le déclassement et les discriminations limitent la portée du diplôme comme outil de promotion sociale.
Conclusion
L’École combine des fonctions de transmission, de socialisation et de sélection. Elle est conçue pour promouvoir l’égalité des chances, mais les inégalités de départ, les stratégies familiales et les logiques implicites du système éducatif freinent cette ambition. Si elle a permis une élévation globale du niveau de formation, cette massification s’accompagne d’une diminution de la valeur relative des diplômes dans une économie post-industrielle marquée par une saturation du marché des diplômés.
Le diplôme reste un levier de mobilité, mais son efficacité dépend désormais davantage de sa rareté, de sa spécialisation, et de sa capacité à se traduire en compétences recherchées. Repenser les conditions d’une véritable démocratisation qualitative reste un enjeu majeur pour concilier mérite et justice sociale.
