Introduction
Au début du XXᵉ siècle, le monde change brutalement : la Première Guerre mondiale bouleverse les certitudes, les villes s’industrialisent, les idéologies s’affrontent et la Seconde Guerre mondiale se profile déjà. Dans ce climat d’incertitude et de révolte, la poésie française se transforme profondément. Elle ne se contente plus d’hériter du symbolisme ou des formes classiques : elle cherche à inventer un langage nouveau, capable de traduire le chaos du monde et les richesses de l’inconscient. Les mouvements dadaïste et surréaliste incarnent cette volonté de rupture, avant que la poésie ne s’engage directement dans les combats politiques et humains des années 1930.
Ruptures poétiques : dadaïsme et surréalisme
Le dadaïsme naît en 1916 à Zurich, au Cabaret Voltaire, autour de Tristan Tzara. Mouvement provocateur et anarchique, il rejette toutes les conventions littéraires et sociales. Pour les dadaïstes, la poésie doit traduire l’absurdité du monde moderne : on mélange les mots, on déconstruit les formes, on joue avec le hasard. L’objectif n’est pas de produire une « belle » œuvre, mais de renverser les codes et de choquer les habitudes de lecture.
Un extrait représentatif de l’esprit dadaïste se trouve dans Vingt-cinq poèmes (1918) de Tristan Tzara, recueil rédigé peu après la fondation du mouvement. Dans le poème pélamide, on lit :
a e ou o youyouyou i e ou o youyouyou
drrrrrdrrrrdrrrrgrrrrgrrrrrgrrrrrrrr
morceaux de durée verte voltigent dans ma chambre
a e o i ii i e a ou ii ii ventre montre le centre je veux le prendre ambran bran bran et rendre centre des quatre
L’ensemble traduit l’esthétique dadaïste : le refus du sens stable, le jeu avec le hasard et le mélange des sons, mots et images pour produire un choc. Ici, la poésie n’exprime pas un message clair, mais l’absurdité et le désordre d’un monde bouleversé par la guerre.
De cette révolte surgit bientôt le surréalisme, fondé officiellement par André Breton avec le Manifeste du surréalisme (1924). Le surréalisme explore les profondeurs de l’inconscient et des rêves, influencé par la psychanalyse de Freud. L’outil central est l’écriture automatique : le poète écrit sans réfléchir, laissant surgir les images et les associations d’idées comme dans un rêve. Cette méthode libère l’imaginaire et conduit à des images inattendues, parfois déroutantes, qui traduisent une vérité plus profonde que la logique rationnelle.
Voici un passage emblématique de l’écriture automatique extrait du Manifeste du surréalisme (1924) d’André Breton, où il donne un exemple de texte rédigé selon ce principe :
La paix dans l’univers n’est pas autre chose que la moindre insuffisance, le moins d’imprévu possible ; elle s’oppose de toutes ses forces à l’improvisation. Tout est si peu naturel que la moindre brise, si peu importante qu’elle soit, y dérange tout. Elle est loin, la quiétude des premiers hommes de la terre ; maintenant, nous ne sommes plus dans la situation de ceux qui s’étonnaient, ni même de ceux qui se ménageaient des surprises.
Cette écriture jaillit sans plan ni correction. Les phrases s’enchaînent librement, comme des pensées surgissant dans le rêve ou l’inconscient. L’absence de logique rationnelle et la spontanéité des associations traduisent la volonté surréaliste de dépasser la raison pour atteindre une vérité plus intime, enfouie dans l’imaginaire.
Avant même Breton, Guillaume Apollinaire avait annoncé certaines audaces que reprendront les surréalistes. Dans Alcools (1913) et Calligrammes (1918), ses vers libres, ses images insolites et ses poèmes visuels (où la disposition des mots forme un dessin) ouvrent la voie à de nouvelles libertés poétiques. Avec Paul Éluard, Louis Aragon ou Robert Desnos, le surréalisme devient ensuite un espace de liberté absolue, où l’image poétique peut rapprocher des réalités éloignées (« La Terre est bleue comme une orange », écrit Éluard).
À retenir
Le dadaïsme et le surréalisme rompent avec la tradition poétique. Ils privilégient la provocation, l’exploration de l’inconscient, l’écriture automatique et la liberté totale des images, pour créer une poésie nouvelle, affranchie de la logique et des contraintes formelles.
Une poésie d’engagement dans les années 1930
À partir des années 1930, la montée du fascisme en Europe, la crise économique et les tensions sociales donnent à la poésie un rôle nouveau : celui de s’engager. Beaucoup de poètes surréalistes rejoignent alors les luttes politiques, souvent proches du communisme, et mettent leur plume au service d’idéaux collectifs.
Aragon, par exemple, mêle l’imaginaire hérité du surréalisme à une poésie de combat. Ses poèmes célèbrent la révolution, la solidarité ouvrière ou la défense de la liberté. Paul Éluard, lui aussi engagé, écrit des poèmes accessibles et émouvants, capables de toucher un large public. Pendant l’Occupation, son poème Liberté deviendra un chant de résistance, diffusé clandestinement et parachuté par les Alliés.
La poésie, loin d’être une fuite dans l’imaginaire, devient alors un espace de lutte. Elle garde la liberté des images héritée du surréalisme, mais elle la met au service d’un message politique et humain. Le poète est à la fois un créateur et un témoin, un artisan de l’émotion et un acteur de son temps.
À retenir
Dans les années 1930, la poésie se politise : elle devient un outil d’engagement contre les injustices et les menaces totalitaires. Des poètes comme Aragon et Éluard mettent leur art au service de la résistance et de la liberté.
Conclusion
Entre les deux guerres mondiales, la poésie française connaît une véritable révolution. Avec le dadaïsme et le surréalisme, elle explore l’irrationnel, l’inconscient et les images libérées des contraintes logiques. Puis, face aux crises politiques, elle choisit l’engagement, devenant une arme de résistance et de fraternité. Cette double dimension – exploration intérieure et lutte collective – fait de la poésie du début du XXᵉ siècle un laboratoire où s’inventent de nouvelles formes et où s’affirme le rôle du poète dans la cité. Elle prépare les voix poétiques de la Résistance et continue d’inspirer la manière dont nous pensons le pouvoir des mots.
