Introduction
La fin de la Guerre froide en 1991, marquée par l’effondrement de l’URSS et du bloc soviétique, a inauguré une nouvelle ère des relations internationales. Les États-Unis s’imposent alors comme seule superpuissance, ouvrant une phase de monde unipolaire provisoire. Mais très vite, la mondialisation, en intensifiant les échanges économiques, les circulations culturelles et les flux financiers, favorise l’essor de nouveaux acteurs. Depuis, les rapports de puissance se sont diversifiés et complexifiés : des États du Sud, des villes mondiales, des firmes transnationales ou des ONG participent désormais à l’organisation du monde. Cette leçon explore les transformations des rapports de puissance depuis 1991 à travers l’émergence et l’action de ces nouveaux acteurs.
Les acteurs étatiques : vers un monde multipolaire
L’émergence de puissances alternatives
Depuis les années 1990, de nouveaux pôles de puissance émergent. Le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), structuré dans les années 2000, illustre cette montée en puissance. L’Afrique du Sud ne rejoint officiellement le groupe qu’en 2010.
La Chine, devenue la deuxième économie mondiale en 2010, affirme son rôle par des investissements massifs (notamment dans les infrastructures via les Nouvelles routes de la soie), une montée en puissance militaire et une influence croissante dans les institutions internationales. L’Inde joue également un rôle grandissant dans les domaines numérique, pharmaceutique et diplomatique.
La Russie, qualifiée à tort de puissance émergente, est plutôt une puissance réaffirmée depuis les années 2000. Elle cherche à restaurer son influence héritée de l’URSS. Son annexion de la Crimée (2014) et l’invasion de l’Ukraine (2022) ont entraîné des sanctions économiques, renforçant son isolement vis-à-vis de l’Occident.
L’Union européenne et la redéfinition des équilibres
L’Union européenne, au-delà de son poids commercial, exerce une influence importante grâce à sa capacité à imposer des normes. Le politologue Ian Manners a qualifié l’UE de puissance normative, car elle diffuse ses standards réglementaires à l’échelle mondiale. Le RGPD (Règlement général sur la protection des données), entré en vigueur en 2018, en est un exemple concret : il a incité des entreprises du monde entier à adapter leur gestion des données aux normes européennes.
D’autres organisations régionales comme l’ASEAN ou l’Union africaine jouent un rôle de coopération économique et de dialogue politique. Toutefois, leur capacité de régulation reste limitée : elles ne disposent pas de mécanismes contraignants pour gérer les conflits ou faire appliquer des décisions.
Les acteurs infra-étatiques : métropoles et régions dans les flux mondiaux
Les régions comme moteurs de compétitivité
À l’échelle infra-étatique, certaines régions ont développé une stratégie de développement propre, souvent fondée sur l’innovation et l’ouverture économique. Elles attirent les investissements directs étrangers et s’intègrent aux chaînes de valeur mondiales. C’est le cas, par exemple, de la Bavière (automobile), de la Silicon Valley (technologies), ou de Toulouse (aéronautique).
Les villes mondiales comme centres de commandement
Les villes mondiales, telles que New York, Londres, Tokyo ou Paris, sont au sommet d’une hiérarchie urbaine mondiale. Elles concentrent les fonctions de commandement économique, les sièges sociaux de grandes entreprises, les bourses financières et les centres de recherche. Elles structurent les flux d'information, de capitaux et de culture à l’échelle planétaire.
D'autres métropoles asiatiques, comme Shanghai, Singapour ou Séoul, montent en puissance, mais n’atteignent pas nécessairement le même niveau de connectivité ou de centralité fonctionnelle. Elles témoignent toutefois du basculement progressif du centre de gravité économique vers l’Asie.
Les acteurs privés et de la société civile : influence et contestation
Les firmes transnationales : influence extraterritoriale
Les firmes transnationales (FTN) structurent une part importante de l’économie mondiale. Elles répartissent leur production dans plusieurs pays et contrôlent des chaînes logistiques globales. Des géants comme Apple, Amazon, TotalEnergies ou Tencent disposent d’un pouvoir d’influence considérable, y compris en matière de régulation fiscale, environnementale ou technologique.
Leur influence extraterritoriale se manifeste par leur capacité à contourner les régulations nationales ou à imposer leurs standards aux sous-traitants et aux États partenaires. Cela soulève des questions sur la capacité des États à préserver leur souveraineté économique.
ONG et critiques de la mondialisation
Depuis les années 1990, les ONG se sont imposées comme des acteurs essentiels de la gouvernance mondiale. Elles interviennent dans l’aide humanitaire, la défense de l’environnement, la santé publique ou les droits humains. Des organisations comme Greenpeace, Médecins Sans Frontières ou Oxfam pèsent sur les agendas internationaux.
Les années 2000 ont vu émerger une contestation forte de la mondialisation néolibérale à travers le mouvement altermondialiste. Organisé autour de forums comme celui de Porto Alegre ou du Forum social mondial, il critique la logique de dérégulation, la priorité donnée aux profits sur les droits sociaux ou environnementaux. Ce mouvement, aujourd’hui affaibli, a néanmoins laissé un héritage dans les mobilisations écologistes, les débats sur la souveraineté économique ou les initiatives de commerce équitable.
Conclusion
Depuis 1991, la mondialisation s’est accompagnée d’une diversification des acteurs et d’une reconfiguration des rapports de puissance. La domination occidentale est progressivement contestée par de nouvelles puissances, pendant que les villes mondiales, les régions compétitives, les FTN et la société civile organisée participent à la gestion ou à la critique de l’ordre mondial.
Cette multiplication des pôles de décision complexifie la gouvernance globale. Elle génère aussi de nouvelles tensions — entre souveraineté et interdépendance, entre dérégulation et régulation, entre croissance économique et justice sociale. Pour comprendre le monde actuel, il est essentiel d’analyser cette pluralité d’acteurs et de logiques, et d’en saisir les interactions mouvantes. La mondialisation n’est plus un projet unifié : elle est désormais un champ de rivalités, de coopérations et de contestations permanentes.