La conférence de Berlin et le partage de l’Afrique

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Dans cette leçon, tu vas comprendre comment la conférence de Berlin (1884-1885) a fixé les règles de la colonisation de l’Afrique, en imposant le principe d’occupation effective et en traçant des frontières arbitraires. Tu verras aussi comment les Européens ont justifié leur domination par des arguments économiques, stratégiques et idéologiques. Mots-clés : conférence de Berlin, colonisation Afrique, frontières coloniales, mission civilisatrice, Jules Ferry, rivalités coloniales.

Introduction

À la fin du XIXe siècle, l’Afrique est au centre des rivalités entre puissances européennes. La colonisation a déjà commencé depuis longtemps : la France est implantée en Algérie depuis 1830, le Royaume-Uni domine l’Afrique du Sud, et le Portugal possède des comptoirs en Angola et au Mozambique depuis plusieurs siècles.

Mais à partir des années 1880, la compétition s’accélère. Pour éviter une confrontation directe, le chancelier allemand Bismarck organise la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885. À cette époque, l’Allemagne n’a pas encore un empire colonial étendu en Afrique : son intérêt est avant tout diplomatique, montrer qu’elle est une puissance incontournable et contenir les rivalités entre la France et le Royaume-Uni.

La conférence de Berlin : fixer un cadre colonial

La conférence réunit treize puissances européennes et les États-Unis, sans qu’aucun représentant africain ne soit convié. Contrairement à l’idée de « partage direct », elle ne distribue pas les colonies mais fixe des règles de conquête.

Le principe majeur adopté est celui de l’occupation effective : une puissance ne peut revendiquer un territoire qu’en y exerçant une autorité réelle (administration, garnison, exploitation). La conférence garantit aussi la liberté de navigation sur deux fleuves stratégiques, le Congo et le Niger.

Enfin, elle reconnaît officiellement l’État indépendant du Congo, confié comme possession personnelle au roi Léopold II de Belgique (1885-1908). Derrière une façade humanitaire, ce territoire devient le théâtre d’une exploitation brutale (caoutchouc, ivoire). Les estimations évoquent plusieurs millions de victimes, conséquence du travail forcé, des violences et des famines, avant que le Congo ne devienne colonie belge en 1908.

À retenir

La conférence de Berlin établit un cadre juridique : occupation effective, liberté de navigation sur le Congo et le Niger, reconnaissance de l’État indépendant du Congo de Léopold II.

Le tracé des frontières et ses héritages

Après 1885, la colonisation de l’Afrique s’accélère fortement. En 1914, presque tout le continent est dominé par l’Europe, à l’exception de l’Éthiopie et du Liberia. Les frontières tracées suivent rarement les réalités ethniques, linguistiques ou culturelles. Elles séparent des peuples (comme les Somalis, répartis entre plusieurs territoires coloniaux) ou regroupent des communautés sans lien historique (comme les Éwés, divisés entre le Togo et le Ghana).

Ces frontières arbitraires deviennent celles des nouveaux États après les indépendances. En 1963, la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à Addis-Abeba s’accompagne de l’adoption de la Charte de l’OUA, qui proclame le principe d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Ce principe est réaffirmé par la Résolution du Caire en 1964, afin d’éviter une multiplication de guerres frontalières. Ce choix assure une certaine stabilité internationale, mais il laisse persister des tensions internes liées à des frontières mal adaptées aux réalités humaines.

À retenir

Les frontières issues de la colonisation, figées par la Charte de l’OUA (1963) et confirmées par la Résolution du Caire (1964), sont un héritage durable, source à la fois de stabilité et de tensions internes.

Les logiques de domination et leurs justifications

La conférence de Berlin s’inscrit dans le second impérialisme de la fin du XIXe siècle. Les Européens invoquent plusieurs arguments pour légitimer leur expansion.

L’argument économique est central : l’Afrique apparaît comme un réservoir de matières premières, du caoutchouc aux minerais, indispensables à la révolution industrielle, mais aussi comme un marché potentiel pour les produits européens. L’argument stratégique est tout aussi important : contrôler les routes maritimes et les points de passage devient vital. Le canal de Suez, inauguré en 1869 et contrôlé par les Britanniques dès 1882, explique ainsi la volonté du Royaume-Uni de renforcer son influence en Afrique orientale et le long de la route des Indes.

À cela s’ajoute une justification idéologique : l’idée de mission civilisatrice. Jules Ferry, dans son discours de 1885, présente la colonisation comme un devoir moral de la France pour apporter le progrès et l’éducation. De même, Rudyard Kipling théorise le « fardeau de l’homme blanc ». Mais derrière ces mots se cache aussi une entreprise de domination raciale, appuyée sur des théories pseudo-scientifiques comme le darwinisme social, qui prétendaient hiérarchiser les peuples et légitimer la suprématie européenne. Ces discours servent à masquer une réalité de dépossession (les populations locales sont privées de leurs terres et de leurs richesses) et de perte de souveraineté (les Africains n’ont plus le droit de décider de leur destin politique).

Les rivalités coloniales persistent malgré les règles posées à Berlin. L’exemple de la crise de Fachoda en 1898 est révélateur : Français et Britanniques s’affrontent au Soudan pour le contrôle de la vallée du Nil. Même si l’incident se termine par un compromis, il montre que la conférence n’a pas supprimé les tensions, mais simplement cherché à les encadrer.

À retenir

Les Européens justifient leur domination par des arguments économiques, stratégiques et idéologiques. Mais ces discours, soutenus par des théories raciales, masquent une réalité de dépossession et n’empêchent pas la persistance de rivalités.

Conclusion

La conférence de Berlin (1884-1885) n’a pas déclenché la colonisation africaine, déjà amorcée, mais elle en a accéléré le rythme en lui donnant un cadre juridique. En imposant le principe d’occupation effective, en garantissant la liberté de navigation et en reconnaissant l’État indépendant du Congo, elle a renforcé la domination européenne. Les frontières coloniales, entérinées par la Charte de l’OUA en 1963 et confirmées par la Résolution du Caire en 1964, expliquent encore aujourd’hui de nombreuses tensions.

La conférence de Berlin illustre ainsi à la fois la volonté d’organiser la conquête et l’incapacité à prévenir les rivalités coloniales, comme le montre Fachoda. Elle symbolise le moment où l’Afrique fut intégrée de force dans un système mondial dominé par l’Europe, au nom d’une prétendue « mission civilisatrice » qui dissimulait une entreprise de domination politique, économique et culturelle.