L’Ingénu de Voltaire : fiche de lecture (ancien programme)

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I. Résumé de l'œuvre

En 1689, un jeune homme originaire du Canada arrive en Bretagne. Il est surnommé l’Ingénu en raison de son caractère naïf et franc. Il est accueilli par l’abbé de Kerkabon et sa sœur, Mlle de Kerkabon : on apprend que le Huron est leur neveu.

Il tombe amoureux d’une voisine, Mlle de Saint-Yves, qui est désignée comme la marraine de l’Ingénu lors de son baptême. Or, il est défendu qu’une marraine se marie à son filleul. C’est pourquoi l’Ingénu veut se rendre à Versailles, pour que le roi lui accorde la permission d’épouser Mlle de Saint-Yves.

À Paris, l’Ingénu, qui a discuté avec des protestants persécutés, est emprisonné. Dans sa cellule, grâce au janséniste Gordon, il s’éduque et se cultive. Pour le faire libérer, Mlle de Saint-Yves cède aux avances d’un personnage influent, M. de Saint-Pouange. Mais après avoir permis la libération de l’Ingénu et de Gordon, Mlle de Saint-Yves, rongée par le remords, tombe malade et meurt. Le Huron devient un grand militaire et un philosophe, toujours au côté de Gordon.

II. Présentation de l'auteur

Voltaire marque le XVIIIe siècle d’un bout à l’autre. Après de brillantes études, il entame sa carrière d’écrivain et fréquente les milieux éclairés et libertins. Les œuvres de Voltaire ont une forte dimension polémique : il dénonce les abus de pouvoir, certaines philosophies, et surtout la religion. Il est souvent arrêté pour ses textes, si bien qu’il doit même s’exiler un temps. À la fin de sa vie, Voltaire crée sa propre petite société dans son domaine de Ferney. C’est là qu’il écrit L’Ingénu en 1767.

C’est un écrivain très prolifique et très polyvalent : il écrit des tragédies (ŒdipeMahomet), des textes polémiques (Lettres philosophiquesLe dictionnaire philosophique), des récits fictifs qu’il appelle tantôt « conte », tantôt « roman » (CandideZadig), de l’histoire (Le siècle de Louis XIV). Nous verrons que L’Ingénu est lié à plusieurs de ces facettes.

III. Présentation du contexte (littéraire, culturel, etc.)

Le XVIIIe siècle est le siècle des Lumières. En Europe, des hommes et des femmes de lettres et de science s’élèvent contre l’obscurantisme. C’est pourquoi ils dénoncent les institutions de l’Ancien régime, notamment sur les plans politique et philosophique : à la monarchie absolue, ils opposent le parlementarisme et le despote éclairé, roi-philosophe ; à l’Église catholique, ils opposent le déisme et la tolérance. Voltaire incarne pleinement ce mouvement des Lumières, aux côtés de Rousseau, Diderot, Montesquieu ou D’Alembert.

Sur le plan littéraire, le XVIIIe siècle est marqué par un foisonnement des formes textuelles. Les romans psychologiques, écrits à la première personne, sont nombreux, comme ceux de Rousseau, Marivaux ou l’abbé Prévost. Le roman épistolaire est illustré par Montesquieu ou Choderlos de Laclos. Le théâtre est très présent : la comédie de Beaumarchais ou Marivaux, mais aussi la tragédie de Voltaire. Crébillon écrit des contes libertins et exotiques, marqué par la traduction des Mille et une nuits publiée au début du XVIIIe siècle. La poésie n’est pas en reste avec, par exemple, Chénier.

IV. Problématiques majeures de l'œuvre

Le genre de L’Ingénu est très problématique. Voltaire n’emploie jamais l’expression « conte philosophique » : il parle de « plaisanterie » ou de « roman ». Certes, L’Ingénu est un texte bref qui s’apparente à Candide ou à Zadig (qu’il est conseillé de lire). On y trouve le même rythme effréné : les péripéties et les hasards s’enchaînent de manière parfois improbable, ce qui signe bien le caractère fictif de l’œuvre. D’ailleurs, le récit à proprement parler est précédé d’une page qui atteste de l’authenticité de l’histoire : c’est bien entendu une fiction qui ne trompe personne.

Toutefois, L’Ingénu est très différent des autres contes de Voltaire. En effet, là où ceux-là sont très critiques et ironiques, notre texte apparaît plus sérieux, et même parfois plus sombre. C’est pourquoi la fin peut être lue de deux manières : soit on y voit une parodie de roman sentimental et larmoyant, soit un texte sincèrement pathétique. Les deux lectures peuvent être justifiées et, peut-être, cohabitent l’une avec l’autre.

En fait, L’Ingénu doit être lu en regard de l’œuvre historique de Voltaire, Le siècle de Louis XIV (1751). En effet, contrairement aux autres contes, le récit est ancré dans une période précise, 1689, et met en scène des personnages qui ont vraiment existé. Là où le texte historique se veut objectif et scientifique, le conte permet à Voltaire de développer les sentiments et les discours des personnages. Les deux genres sont complémentaires.

Par ailleurs, L’Ingénu est une charge polémique contre le système de Louis XIV, mais aussi du XVIIIe siècle : les rites catholiques, la persécution des protestants, le pouvoir des jésuites, les mauvais écrivains et philosophes, la complexité de l’administration, l’inaccessibilité du roi, les abus de pouvoir, les préjugés moraux sont tour à tour violemment dénoncés par Voltaire.

Enfin, notre œuvre est aussi un récit de formation. Le jeune sauvage est doté de qualités essentielles, comme la franchise et l’ouverture. Ces qualités naturelles s’épanouissent encore plus lorsque Gordon fournit une éducation au Huron. L’Ingénu se bat pour des causes justes. C’est pourquoi, à la fin du roman, il est présenté comme un « philosophe intrépide », l’idéal de Voltaire.

V. Les passages phares de l’œuvre

Comme dans tout texte, le début est important. Dans le chapitre 1, le lecteur découvre l’époque et les personnages principaux. Les premiers portraits du Huron sont notamment très importants.

Au chapitre 8, le souper avec les protestants illustre parfaitement les problématiques religieuses soulevées par Voltaire.

L’éducation du Huron avec Gordon (chapitres 11, 12 et 14) est un passage central : il montre comment, malgré l’enfermement, le personnage fait d’énormes progrès. En creux, Voltaire montre sa conception de l’éducation idéale et en profite pour émettre ses propres jugements esthétiques et philosophiques.

Enfin, le dernier chapitre apparaît comme un passage singulier par rapport aux autres contes de Voltaire : la dimension pathétique pose question, comme nous l’avons vu.