Introduction
Dans un organisme humain, des milliards de cellules cohabitent : des cellules musculaires, nerveuses, sanguines, ou encore cutanées, c’est-à-dire celles qui composent la peau. Ces cellules remplissent des fonctions très différentes, et pourtant, elles proviennent toutes d’une même cellule-œuf, formée lors de la fécondation. Cette cellule unique se multiplie pour donner naissance à toutes les autres, qui conservent le même patrimoine génétique, c’est-à-dire l’ensemble des informations inscrites dans l’ADN et héritées des parents.
Mais si chaque cellule possède la même information, pourquoi ne se ressemblent-elles pas toutes ? Pourquoi une cellule du foie ne se comporte-t-elle pas comme une cellule nerveuse ? La clé se trouve dans un mécanisme appelé expression sélective des gènes, qui signifie que chaque cellule n’utilise qu’une partie de l’ADN pour fabriquer des protéines — les molécules fonctionnelles produites à partir des gènes, assurant les rôles essentiels du vivant : construire, protéger, communiquer, transporter ou réguler.
Toutes les cellules possèdent le même patrimoine génétique
Toutes les cellules d’un organisme pluricellulaire contiennent le même ADN, organisé en chromosomes et composé de milliers de gènes. Ces gènes sont comme les chapitres d’un immense livre : toutes les cellules possèdent la même « bibliothèque », mais elles n’en consultent pas les mêmes pages.
Dans les années 1950, le biologiste britannique John Gurdon a montré que le noyau d’une cellule spécialisée (comme une cellule intestinale de grenouille) contient encore tous les gènes nécessaires pour reconstruire un organisme entier. En transférant ce noyau dans un ovule sans noyau, il a obtenu un têtard complet. Cette expérience a prouvé que la spécialisation cellulaire ne dépend pas d’un ADN différent, mais de l’utilisation sélective des gènes.
À retenir
Toutes les cellules d’un organisme possèdent le même ADN. Les différences entre elles viennent de l’expression sélective des gènes, et non du patrimoine génétique lui-même.
L’expression sélective des gènes : une lecture partielle et contrôlée de l’ADN
Dans chaque cellule, seuls certains gènes de l’ADN sont « lus » et exprimés : ce sont ceux qui servent à produire les protéines nécessaires à la fonction de la cellule. L’expression d’un gène se déroule en deux grandes étapes.
Dans le noyau, une enzyme « lit » la portion utile d’un gène et en fabrique une copie partielle sous forme d’ARN messager (ARNm) : c’est la transcription. Cette molécule d’ARNm quitte ensuite le noyau pour rejoindre le cytoplasme, où elle est « lue » par des structures appelées ribosomes. Ceux-ci traduisent le message contenu dans l’ARNm en une chaîne d’acides aminés, qui s’enroule pour former une protéine, c’est la traduction.
Chaque type cellulaire n’active donc que les gènes qui lui sont nécessaires. Ce choix des gènes exprimés détermine la forme, la fonction et le phénotype cellulaire, c’est-à-dire l’apparence et le comportement de la cellule.
L’expression des gènes dépend aussi du degré de compaction de l’ADN dans les chromosomes : les zones très enroulées sont inactives, tandis que les zones plus ouvertes sont accessibles à la transcription. De plus, certains signaux internes (comme les hormones) ou externes (comme la lumière ou la température) peuvent activer ou désactiver des gènes. Cette régulation permet à la fois la spécialisation durable des cellules et leur adaptation à l’environnement.
Par exemple, une cellule musculaire exprime les gènes de l’actine et de la myosine, deux protéines responsables de la contraction. Une cellule nerveuse active les gènes nécessaires à la production de neurotransmetteurs, pour transmettre les signaux électriques entre neurones.
À retenir
L’expression d’un gène consiste à copier en ARNm une portion d’ADN, puis à fabriquer la protéine correspondante. Chaque cellule n’exprime qu’une partie de ses gènes, ce qui détermine son phénotype cellulaire. Cette expression dépend de la structure de l’ADN, des facteurs biologiques et des conditions environnementales.
Observation expérimentale : la spécialisation visible au microscope
En classe, une observation simple illustre cette idée : comparer au microscope l’épiderme d’oignon et une feuille verte de plante.
Les cellules de l’épiderme d’oignon, transparentes et dépourvues de chloroplastes, forment une fine barrière protectrice. En revanche, les cellules de la feuille verte apparaissent remplies de chloroplastes, petits organites verts responsables de la photosynthèse.
Cette différence visible traduit une différence d’expression des gènes : dans la feuille, les gènes nécessaires à la photosynthèse sont actifs, tandis qu’ils sont silencieux dans l’oignon. Pourtant, les deux tissus ont le même ADN. Cela montre que la spécialisation cellulaire résulte de la lecture sélective de l’information génétique.
À retenir
Les différences observées entre types cellulaires (forme, couleur, fonction) sont dues à l’expression sélective des gènes, pas à un ADN différent.
La spécialisation cellulaire : la diversité des fonctions à partir d’un même ADN
Au cours du développement embryonnaire, les cellules issues de la cellule-œuf se différencient progressivement en adoptant des rôles précis. Cette différenciation cellulaire dépend du choix des gènes exprimés. Une cellule souche, au départ indifférenciée, devient peu à peu une cellule musculaire, nerveuse ou épidermique selon les gènes qu’elle active.
Les cellules de la peau, par exemple, fabriquent une protéine appelée kératine. Cette molécule forme une sorte de bouclier solide qui rend la peau résistante et imperméable. C’est grâce à elle que notre peau ne se dissout pas au contact de l’eau et qu’elle nous protège des agressions extérieures.
Dans le pancréas, d’autres cellules expriment le gène codant pour l’insuline, une hormone qui régule la quantité de sucre dans le sang. Lorsque nous mangeons, ces cellules détectent l’augmentation du glucose et produisent davantage d’insuline pour rétablir l’équilibre.
Chez les plantes, les cellules chlorophylliennes des feuilles expriment des gènes qui permettent la formation des chloroplastes et la production des enzymes de la photosynthèse. Ces protéines transforment la lumière du soleil, l’eau et le dioxyde de carbone en sucres : une source d’énergie vitale pour la plante et, indirectement, pour tous les êtres vivants.
Dans chacun de ces cas, la cellule choisit quels gènes lire et quelles protéines fabriquer. Ce sont ces choix d’expression qui déterminent son phénotype cellulaire : sa structure, sa couleur, son activité et sa fonction dans l’organisme.
À retenir
Les cellules spécialisées produisent des protéines différentes selon les gènes qu’elles expriment. Cette sélection donne à chaque type cellulaire son identité, son rôle et son phénotype.
Conclusion
Toutes les cellules d’un organisme possèdent le même patrimoine génétique, mais elles se distinguent par les gènes qu’elles expriment. Cette expression sélective conduit à la production de protéines spécifiques, à l’origine de la diversité des phénotypes cellulaires et des fonctions biologiques.
C’est ainsi qu’à partir d’une simple cellule-œuf se forment, par une lecture différenciée du même ADN, des cellules aussi variées qu’un neurone, une cellule de peau ou une cellule végétale photosynthétique. Ce mécanisme fondamental explique à la fois l’organisation, la cohérence et la richesse du vivant.
