Introduction
Quand on lit un texte littéraire, il ne faut pas seulement examiner ce qui est dit, mais aussi qui parle, à qui, quand et dans quelles conditions. C’est ce que l’on appelle l’énonciation. Elle désigne la situation de communication qui rend possible un texte : l’acte même de produire des paroles ou un récit. Pour analyser un texte, comprendre l’énonciation est essentiel : cela permet de saisir la position de l’auteur, du narrateur ou du personnage, ainsi que le rapport qui s’établit avec le lecteur ou le spectateur.
Énoncé et énonciation : deux notions à distinguer
L’énoncé est le texte produit : les phrases, les mots, le discours en lui-même.
L’énonciation correspond à l’acte de produire ce texte, dans une situation donnée. C’est elle qui laisse des traces visibles dans le texte et qui situe le locuteur.
Exemple : dans Madame Bovary, les descriptions et dialogues constituent l’énoncé. Mais quand le narrateur intervient pour juger ironiquement ses personnages, c’est une marque d’énonciation.
Conseil d’analyse
Ne confondez pas ce que le texte dit (l’énoncé) avec la manière dont il est dit et par qui (l’énonciation).
Les marques de l’énonciation
L’énonciation laisse des indices dans le texte.
Les pronoms personnels (« je », « tu », « nous ») signalent la présence du locuteur et du destinataire.
Les temps verbaux situent le discours dans un moment particulier : le présent pour l’immédiateté, le futur pour la projection, le passé pour le récit.
Les déictiques (ou embrayeurs) comme « ici », « demain », « maintenant » n’ont de sens que par rapport à la situation où ils sont prononcés.
Exemple : dans un poème lyrique, l’usage de « je » inscrit le poète dans son texte ; au théâtre, un personnage qui dit « ici » et « maintenant » s’ancre dans la représentation en cours.
À retenir
Les marques de l’énonciation — pronoms, temps, déictiques — indiquent la place du locuteur et la situation de communication.
L’énonciation selon les genres littéraires
La poésie lyrique
En poésie, l’énonciation est souvent fortement marquée. Quand Verlaine écrit « Il pleure dans mon cœur », le « il » impersonnel traduit l’intériorité du poète et crée une relation intime avec le lecteur. Le poème fonctionne comme une parole adressée à soi-même mais partagée avec un destinataire implicite.
Le roman et les types de narrateur
Dans le roman, l’énonciation dépend du type de narrateur.
Le narrateur hétérodiégétique est extérieur à l’histoire : il dit « il » ou « elle » et se place comme observateur. Exemple : Balzac dans Le Père Goriot décrit les lieux, les personnages et intervient parfois pour commenter.
Le narrateur homodiégétique appartient à l’histoire : il dit « je » et raconte ce qu’il vit. Cela crée une impression de subjectivité et de proximité. Dans À la recherche du temps perdu de Proust, le narrateur raconte sa propre vie et mêle souvenirs et réflexions.
On parle aussi de narrateur autodiégétique lorsque le narrateur est le héros principal de l’histoire qu’il raconte, comme dans Les Confessions de Rousseau.
Savoir distinguer ces positions permet d’analyser la distance entre récit et expérience vécue, et donc l’effet produit sur le lecteur.
Le théâtre
L’énonciation théâtrale est particulièrement complexe. Elle se joue à plusieurs niveaux :
celle de l’auteur, qui écrit les répliques et les didascalies ;
celle des personnages, qui parlent entre eux dans la fiction ;
celle des acteurs, qui prononcent les paroles sur scène dans une situation de représentation ;
enfin, celle de l’adresse au public, parfois explicite (apartés, monologues qui interpellent les spectateurs) ou implicite (chaque réplique étant en même temps offerte aux spectateurs).
Par exemple, dans Le Cid de Corneille, Don Rodrigue parle à Chimène, mais sa tirade s’adresse aussi au spectateur qui juge la noblesse de son choix. Au théâtre, chaque parole circule donc dans une triple dimension : fictionnelle, scénique et spectaculaire.
Conseil d’analyse
Quand vous analysez un texte, demandez-vous toujours qui parle, à qui il s’adresse et dans quel cadre (récit, scène, représentation).
Conclusion
L’énonciation est la clé pour comprendre comment un texte littéraire fonctionne comme acte de communication. Elle ne se réduit pas à l’énoncé, mais en éclaire les conditions de production : qui parle, depuis quelle position, pour quel destinataire. Dans le roman, cela passe par le type de narrateur ; dans la poésie, par l’expression lyrique ; au théâtre, par la complexité d’une parole qui circule entre personnages, acteurs et spectateurs. En situant ainsi l’énonciation, l’élève enrichit son analyse : il ne lit plus seulement un texte, mais il comprend un discours vivant, inscrit dans une situation et dans une relation.
