Introduction
Quand on observe une carte du monde aujourd’hui, on constate que le tracé des frontières est omniprésent. Pourtant, leur rôle et leur signification ont beaucoup évolué. Depuis le XXe siècle, le nombre d’États a considérablement augmenté avec les décolonisations et la fin de la guerre froide, entraînant la multiplication des frontières politiques. Mais toutes n’ont pas la même intensité : certaines sont fermées et militarisées, d’autres sont ouvertes et perméables, et certaines sont devenues presque symboliques. De plus, dans de nombreux espaces, les frontières ne sont plus seulement des lignes de séparation mais aussi des zones d’échanges qui stimulent la circulation économique, culturelle et humaine.
La multiplication des frontières au XXe siècle
Au début du XXe siècle, le nombre d’États indépendants était limité. Les décolonisations, d’abord en Asie après 1945, puis en Afrique dans les années 1960, ont créé des dizaines de nouveaux États. Ces nouvelles frontières étaient souvent héritées de la colonisation. Pour éviter une multiplication des conflits, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a proclamé en 1963 le principe de l’intangibilité des frontières, ce qui a figé les tracés coloniaux, même lorsqu’ils coupaient des groupes ethniques ou culturels.
La fin de la guerre froide a constitué une autre étape majeure. L’éclatement de l’URSS en 1991 a donné naissance à quinze États indépendants, dont l’Ukraine, les pays baltes ou les républiques d’Asie centrale. La Yougoslavie a également explosé dans les années 1990, créant de nouvelles frontières en Europe du Sud-Est. Aujourd’hui, on compte 193 États membres de l’ONU, contre une cinquantaine seulement en 1900.
À retenir
Le XXe siècle a vu une multiplication des frontières, surtout avec les décolonisations et la fin de la guerre froide. En Afrique, elles ont été figées par le principe d’intangibilité de l’OUA (1963).
Des frontières plus ou moins fermées
Toutes les frontières n’ont pas la même intensité. Certaines sont fermées et militarisées. La frontière entre les deux Corées est surveillée par des milliers de soldats au sein d’une zone démilitarisée (DMZ). La frontière américano-mexicaine a vu s’ériger un mur dès les années 1990 avec l’Operation Gatekeeper, renforcé ensuite par les États-Unis dans les années 2000 et après 2016 sous Donald Trump. On peut aussi citer la frontière entre Israël et les territoires palestiniens, jalonnée de murs et checkpoints, ou encore le Sahara occidental, où le Maroc a édifié un « mur de sable » pour contrôler le territoire disputé.
À l’inverse, certaines frontières sont ouvertes. Dans l’Union européenne, les accords de Schengen permettent la libre circulation des personnes et des marchandises. Mais cet espace ne couvre pas l’ensemble des 27 États membres de l’UE : en 2023, 23 pays appartiennent à Schengen, avec l’entrée récente de la Croatie, tandis que l’Irlande, Chypre, la Roumanie et la Bulgarie en sont encore exclus ou en attente. La frontière franco-allemande illustre ce modèle d’intégration : jadis théâtre de guerres, elle est aujourd’hui un espace de coopération intense, avec des projets transfrontaliers et une circulation quotidienne des travailleurs.
Certaines frontières sont aussi symboliques. Par exemple, après 1990, la frontière entre l’ex-RDA et l’ex-RFA a perdu toute fonction de barrière : elle reste visible dans les mémoires et les paysages, mais ne sépare plus de manière contraignante. De même, la frontière interne entre la Chine et Hong Kong, héritée du principe « un pays, deux systèmes », est une séparation institutionnelle particulière, différente des frontières classiques entre États.
À retenir
Les frontières varient fortement : certaines sont militarisées (Corées, Israël/Palestine, Sahara occidental), d’autres ouvertes (Schengen, couple franco-allemand), et certaines symboliques ou mémorielles (ex-RDA/RFA).
Étude de cas : la frontière États-Unis / Mexique
La frontière entre les États-Unis et le Mexique, longue de 3 200 km, est l’une des plus emblématiques du monde contemporain. Elle illustre les contradictions de la mondialisation : à la fois barrière de sécurité et espace d’échanges.
Du côté américain, elle est renforcée par des dispositifs de surveillance (murs, drones, patrouilles), notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la présidence Trump, qui a accentué la construction de barrières. L’objectif est de limiter l’immigration clandestine et les trafics de drogue.
Mais cette frontière est aussi une interface économique : plus d’un million de personnes la franchissent légalement chaque jour pour travailler, commercer ou visiter. Les villes jumelles comme San Diego/Tijuana ou El Paso/Ciudad Juárez forment des zones transfrontalières dynamiques, où les échanges sont constants. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA, puis ACEUM) a renforcé cette interdépendance économique.
Les représentations de cette frontière sont très contrastées. Dans les discours politiques américains, elle est souvent présentée comme une ligne de défense contre les migrations et l’insécurité. Pour de nombreux Mexicains, au contraire, elle est perçue comme une coupure douloureuse, séparant des familles et marquant un déséquilibre économique profond.
À retenir
La frontière États-Unis/Mexique est à la fois une barrière militarisée et une interface économique, reflétant les tensions entre fermeture politique et ouverture économique.
Les espaces transfrontaliers et les frontières maritimes
Au-delà de ce cas, de nombreux espaces transfrontaliers sont devenus des interfaces. Dans l’Union européenne, des projets comme l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau illustrent la coopération quotidienne.
Mais les frontières ne concernent pas seulement la terre ferme : les frontières maritimes sont aujourd’hui essentielles. Selon le droit de la mer (Convention de Montego Bay, 1982), les États disposent de zones économiques exclusives (ZEE) jusqu’à 200 milles nautiques de leurs côtes. Ces ZEE sont souvent contestées, notamment en mer de Chine méridionale, où plusieurs pays revendiquent les mêmes îles et ressources. Dans l’Arctique, la fonte des glaces attise aussi les revendications concurrentes des grandes puissances. Il faut enfin rappeler que la convention de Montego Bay n’a pas été ratifiée par tous : les États-Unis, par exemple, ne l’ont jamais signée.
À retenir
Les frontières maritimes, qu’il s’agisse de la mer de Chine méridionale ou de l’Arctique, sont des lieux de rivalités croissantes liées aux ressources et aux routes maritimes.
Conclusion
Les frontières du monde contemporain sont plus nombreuses que jamais, mais leur rôle n’est pas uniforme. Certaines ferment et divisent, d’autres s’ouvrent et rapprochent, et beaucoup deviennent des espaces de coopération. Elles ne se limitent pas à la terre : les délimitations maritimes sont désormais centrales.
Enfin, les représentations des frontières – qu’elles soient politiques, symboliques ou culturelles – influencent aussi leur perception : barrière protectrice pour certains, coupure douloureuse pour d’autres. Les frontières apparaissent ainsi comme des lignes de séparation, mais aussi comme des ponts, au cœur des dynamiques politiques, économiques et culturelles du monde actuel.
