Hommes et femmes au travail en métropole et dans les colonies

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Le monde de l'agriculture et de l'artisanat (1800-1950)

A) Un monde agricole et artisanal diversifié (1800-1870)

L’agriculture, premier secteur d’emploi en France jusqu’aux années 1930, est un monde diversifié : propriétaires (laboureurs, fermiers), salariés, journaliers (payés à la journée), domestiques… L’activité de toute la famille (homme, femme, enfants) est nécessaire pour vivre. Le chômage saisonnier est fréquent, avec les aléas des récoltes. Beaucoup de paysans complètent alors leurs revenus agricoles en travaillant à domicile (ex. : textile), ou à l’usine.

Les progrès des transports (chemin de fer) permettent au paysan de passer plus facilement d’une activité à une autre : le marchand-fabricant diffuse le travail artisanal dans les villages, où il est récupéré par des employés qui résident en ville. (ex. : l’horlogerie Japy, vers 1860, travaille avec les paysans-artisans des villages situés autour de Montbéliard).

Face à une masse d’ouvriers-paysans peu qualifiés, se trouvent des paysans-artisans qui disposent d’un vrai savoir-faire. Toutefois, les artisans professionnels se distinguent de ceux-ci, car leur haute qualification s’obtient au prix de longues années d’apprentissage et d’expériences avec des maîtres artisans (ex. : les dentellières du Puy).

Mots-clés

Agriculture : activité qui aménage l’espace pour obtenir une production agricole (cultures, élevage). Les plantations destinent leurs productions à l’exportation.

Artisanat : production d’un individu qualifié, qui réalise toutes les étapes.

B) Les mutations du travail agricole et artisanal (1870-1950)

La Grande Dépression (1873-1896) est une grave crise économique, accélérée par l’essor des transports et du libre-échange. L’industrie urbaine concurrence fortement les artisanats ruraux isolés, dont la production, fruit d’un long savoir-faire, est plus coûteuse.

La mécanisation gagne progressivement les campagnes après 1850, et de façon plus généralisée dans les années 1920-1930. Le travail manuel se réduit : les machines (moissonneuses, batteuses, faucheuses…) permettent de travailler plus vite, d’augmenter les surfaces cultivées et la production ; les engrais chimiques sont utilisés massivement. La main-d’œuvre paysanne, remplacée par les machines, est de moins en moins nombreuse.

Les progrès des transports (routes, voies ferrées), la mécanisation des campagnes, les difficultés croissantes de l’artisanat et la « Grande Dépression » accélèrent l’exode rural dès les années 1870, le départ massif des populations des campagnes vers l’industrie urbaine. En 1931, la population urbaine dépasse la population rurale en France.

Le développement de l'industrie dès 1880

A) Le travail à l’usine, long et pénible

Le travail en usine, en ville, prend beaucoup d’ampleur avec l’exode rural, à la fin du XIXsiècle. Les journées sont très longues (plus de 12 heures par jour avant 1890), le travail est épuisant et pénible : le bruit est assourdissant, l’air est chargé de poussières, les cadences souvent fortes, les matériaux lourds, la chaleur étouffante… Les règlements très stricts des usines laissent peu de place à la liberté d’expression. Les salaires restent bas, les ouvriers sont payés à la journée ou à la tâche. Ils ont peu de loisirs.

Les conditions de travail sont dangereuses, dans les mines, les filatures ou les forges… Le risque d’accident handicapant ou mortel est fréquent. L’ouvrier risque de contracter des maladies (silicose, pathologies articulaires…), parfois des handicaps, qui réduisent son espérance de vie et plongent les familles dans la misère (ex. : Germinal de Zola).

B) Vers l’organisation scientifique du travail dès 1880

Vers 1880, l’ingénieur américain Taylor invente une nouvelle méthode scientifique du travail en industrie, qui se diffuse rapidement en Europe : le taylorisme. Taylor décompose les tâches de l’ouvrier en des gestes simples, répétitifs, complémentaires et chronométrés. Il distingue la conception (ingénieurs) de l’exécution (ouvriers). Les produits sont alors standardisés, fabriqués en série, à l’identique. La méthode permet une production de masse. L’entreprise peut employer des ouvriers non qualifiés, formés très rapidement. Le travail devient vite aliénant et dévalorisant pour l’ouvrier.

En 1908, l’ingénieur automobile américain Henry Ford améliore le taylorisme en inventant le travail à la chaîne (fordisme) qui se diffuse en Europe dans les années 1920-1930. Pour augmenter la productivité et gagner encore plus de temps, l’ouvrier ne se déplace plus : il exécute ses gestes répétitifs face à un tapis roulant qui lui transmet les pièces. L’ouvrier doit adapter son rythme à celui imposé par la « chaîne ». La production est encore plus massive, les coûts baissent ; l’ouvrier spécialisé, vite formé, mal payé, n’a besoin d’aucune qualification. En revanche, il faut des ingénieurs pour concevoir la chaîne de travail et des techniciens qualifiés pour l’entretenir. Les ouvriers souffrent du fordisme et l’expriment par les grèves.

Mots-clés

Industrialisation : processus de fabrication de produits en grande quantité.

Révolution industrielle : passage d’une économie traditionnelle et agricole à une économie fondée sur l’industrialisation et le commerce de masse.

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Ouvriers travaillant sur une chaîne d’assemblage

C) Les ouvriers réclament des droits sociaux

a) Des idéologies en faveur du progrès social au XIXe  siècle

Les mouvements politiques (anarchistes, socialistes, catholiques sociaux, républicains) se saisissent de la question sociale. Des penseurs critiquent le capitalisme, veulent une société plus juste et plus favorable à la classe ouvrière. Les courants qui dénoncent les inégalités et appellent à plus de justice sociale dans un cadre légal et républicain sont socialistes. Plus extrême, le communisme souhaite une révolution pour permettre au prolétariat de s’emparer des moyens de production (Karl Marx, Manifeste du parti communiste, 1848).

Certains ouvriers peuvent connaître un meilleur sort quand le patron applique une politique paternaliste (l’entreprise accorde alors une protection sociale, des soins médicaux, un logement lié à l’usine et à loyer modéré, une école…) mais l’ouvrier doit en contrepartie obéissance au patron (ex. : usines sidérurgiques Schneider au Creusot).

b) Les ouvriers s’organisent et s’expriment (1848-1901)

Des révoltes ouvrières éclatent souvent, à cause des crises et des difficiles conditions de travail (ex. : en 1831, les tisserands ou canuts lyonnais se révoltent pour obtenir un salaire minimum des marchands fabricants). Ces révoltes sont sévèrement réprimées par l’État.

La IIe République (1848-1852) permet aux ouvriers, par le suffrage universel masculin, d’élire leurs maires et leurs députés pour relayer leurs revendications. Inspirés par les nouvelles idéologies, de nombreux ouvriers réclament d’autres moyens d’expression. Ils s’organisent pour faire grève. Les coalitions ouvrières sont interdites par la loi Le Chapelier (1791) mais les ouvriers défendent alors les droits du travail dans des associations de secours mutuel qui les aident financièrement pendant les grèves. Elles deviennent des chambres syndicales dès 1850, puis des syndicats. En 1864, le droit de grève est reconnu par l’État. En 1884, la liberté syndicale est accordée (loi Waldeck-Rousseau). En 1901, la liberté d’association est votée.

c) Les lois sociales de la IIIe  République (1870-1940)

La République améliore l’instruction des ouvriers : les lois Jules Ferry (1881-1882) créent des écoles primaires publiques, obligatoires, gratuites et laïques pour les filles et les garçons de 6 à 13 ans, et les écoles nationales professionnelles. La loi Astier (1919) organise l’enseignement technique, industriel et commercial, proposant des cours de pratique professionnelle à côté d’un enseignement général pour les apprentis (elle crée également le certificat d’aptitude professionnelle). Jean Zay, ministre du Front populaire, hausse en 1936 l’âge de la scolarité obligatoire à 14 ans. L’école incarne un espoir d’ascension sociale.

La République établit également des mesures de protection sociale : indemnisation en cas d’accidents du travail (1898), premiers systèmes de retraite dans certaines professions (1910), assurances sociales (1928). Elle limite les horaires de travail (journée de 10 heures en 1892, repos du dimanche obligatoire en 1906, journée de 8 heures en 1919…).

La IIIe République, en particulier le Front populaire (1936-1938), par les accords Matignon (1936), affirme la liberté syndicale et le dialogue entre patrons et salariés (réunions collectives, délégués ouvriers…). À partir de 1936, l’État intervient dans la négociation entre patrons et ouvriers, de façon à éviter le plus possible les conflits sociaux. Des contrats de travail définissent clairement les obligations réciproques de l’employeur et du salarié. Les accords Matignon sont complétés de lois sociales qui améliorent les conditions de vie (deux semaines de congés payés par an, semaine de 40 heures de travail).

De nouvelles dynamiques économiques et sociales

A) L’émergence du secteur tertiaire après 1850

Après 1850, le secteur tertiaire (les services, comme les transports, la banque, le commerce, les administrations…) se développe (1/4 des emplois en 1906). L’État se réorganise, crée de nombreux emplois de fonctionnaires. Des employés de bureau (comptables, juristes…) travaillent dans les entreprises qui s’agrandissent ; l’essor du système bancaire et de la société de l’information (journalistes, cf Bel-Ami de Maupassant) favorise l’apparition d’emplois nouveaux. Le commerce s’étend, avec notamment la création de grands magasins. Les professions libérales (médecins, avocats…) se développent.

B) La lente féminisation du travail

Les femmes ont toujours travaillé, mais elles ne sont pas toujours rémunérées (ex. : travail au champ). Beaucoup travaillent à domicile pour avoir un salaire d’appoint (ex. : couturières). Les femmes revendiquent les mêmes droits que les hommes dès 1791, mais le Code civil (1804) les replace très vite dans une position de « mineure juridique », et surtout dans la dépendance masculine : elles ne peuvent étudier, travailler, disposer de leurs biens et de leur salaire sans l’autorisation de l’époux ou du père.

Les lois sur la scolarisation des filles améliorent leurs perspectives d’emplois : la loi Falloux (1850) oblige les communes de plus de 800 habitants à ouvrir des écoles de filles ; les lois Jules Ferry (1881-1882) leur donnent accès à l’instruction obligatoire. Mais elles ne reçoivent le même enseignement que les hommes et ne passent le même bac qu’après 1924.

La révolution industrielle ne leur ouvre que des emplois peu qualifiés et mal payés dans les usines. Le développement du tertiaire, après 1850, leur permet d’entrer davantage dans le monde du travail : employées, commerçantes, secrétaires… Si certaines ont des emplois peu qualifiés (domestiques), d’autres occupent des postes prestigieux (journalistes, institutrices, scientifiques comme Marie Curie, artistes comme Camille Claudel). Mais leur salaire reste inférieur à celui des hommes, à emploi égal.

Les femmes sont mobilisées massivement en 1914-1918 dans tous les corps de métier pour remplacer les hommes partis au front, particulièrement dans les campagnes, dans les usines d’armement (munitionnettes) et dans les métiers de la santé (« anges blancs »). Elles entretiennent alors l’effort de guerre et participent à la victoire. Après 1918, les femmes gardent un rôle actif mais il reste difficile de concilier vie professionnelle et responsabilités familiales, dans une société qui considère longtemps que leur place est surtout de s’occuper des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. L’Occupation et la France de Vichy les renvoient exclusivement à cette fonction. Elles jouent un rôle actif dans la Résistance ; l’obtention du droit de vote en 1944, avec la Libération, améliore leur condition.

Le travail dans les colonies françaises

A) Ressources agricoles, minières et grands chantiers

Les colonies françaises développent de grandes plantations : céréales, produits exotiques (café, coton…). Les colonies sont aussi une ressource en matières premières industrielles (fer, charbon, or…), exploitées par les colons. La métropole s’efforce de vendre ses produits industriels et concurrence fortement l’artisanat local.

L’État colonial ouvre de grands chantiers : construction de routes, de chemins de fer, de bâtiments publics… L’objectif est de mieux relier les espaces productifs aux villes portuaires du littoral, de façon à favoriser les échanges entre la métropole et la colonie.

B) Les conditions du travail dans les colonies

Les inégalités sociales restent fortes entre les colons et les colonisés : école, santé, salaires… La grande majorité des colonisés sont des paysans pauvres, des mineurs, des petits fonctionnaires : ils occupent des postes subalternes, sont exploités et mal payés.

L’esclavage est aboli dans les colonies françaises en 1848. Cependant, les colonisés se voient imposer des impôts lourds et le travail forcé pour les chantiers d’État : il s’agit d’un travail obligatoire, mal payé, épuisant, parfois accompagné de châtiments corporels. La loi Houphouët-Boigny (11 avril 1946) supprime le travail forcé dans les colonies, avec le soutien de l’ONU et au nom des droits de l’homme.