Entrer dans la sociologie : comment expliquer les comportements sociaux

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Cette leçon t’explique comment la sociologie étudie les comportements humains à travers les influences sociales. Tu y découvriras les grands penseurs (Durkheim, Weber, Bourdieu, Passeron), les notions clés comme la socialisation, les valeurs et les normes, ainsi que les méthodes d’enquête qui permettent aux sociologues de relier les choix individuels aux logiques collectives. Mots-clés : sociologie, fait social, socialisation, acteur social, Durkheim, Weber, Bourdieu.

Introduction

Pourquoi les adolescents écoutent-ils souvent la même musique ou portent-ils des vêtements similaires ? Pourquoi certains choisissent des études longues tandis que d’autres quittent rapidement le système scolaire ? Ces comportements, qui semblent relever de décisions personnelles, sont en réalité influencés par de nombreux facteurs sociaux. C’est précisément ce que cherche à comprendre la sociologie, la science qui étudie la manière dont les individus vivent ensemble, agissent et interagissent au sein de la société.

En observant les faits sociaux, les sociologues tentent de répondre à une grande question : comment fait-on société ? Autrement dit, comment les individus, différents par leurs origines, leurs goûts ou leurs conditions de vie, parviennent-ils à partager des valeurs, des normes et des comportements communs ?

La sociologie : comprendre la société et les comportements humains

Le mot « sociologie » vient du latin socius (compagnon) et du grec logos (étude, discours). C’est donc littéralement la science des relations entre les êtres humains. Elle naît au XIXe siècle, à une époque de profonds bouleversements : la révolution industrielle, l’urbanisation et la montée de nouvelles classes sociales. Ces transformations amènent les penseurs à s’interroger sur la cohésion d’une société en plein changement.

Le sociologue français Émile Durkheim (1858-1917) est considéré comme l’un des fondateurs de cette discipline. Dans Les Règles de la méthode sociologique (1895), il définit le fait social comme une manière d’agir ou de penser « extérieure à l’individu » et imposée par la société. Ce concept désigne tout comportement collectif qui s’impose à nous sans que nous en ayons toujours conscience. Par exemple, le taux de suicide, que Durkheim a étudié dans Le Suicide (1897), varie selon la religion, la profession ou l’état civil. Cet exemple montre que même un acte apparemment individuel est influencé par des causes sociales. On peut aussi penser aux rites scolaires : se lever à l’arrivée d’un professeur ou lever la main pour parler. Ces comportements ne sont pas naturels : ils sont appris et contraints par le cadre social.

Durkheim voulait faire de la sociologie une science aussi rigoureuse que les sciences naturelles. Il montrait que les comportements humains obéissent à des régularités et peuvent donc être expliqués par des causes sociales. Mais cette vision ne suffit pas à décrire toute la complexité du monde social. Le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) propose une autre approche : la sociologie compréhensive. Pour Weber, comprendre un comportement social, c’est comprendre le sens que l’individu lui donne. Par exemple, un élève qui travaille beaucoup peut le faire pour réussir, pour plaire à ses parents ou par passion pour la matière. Ces motivations personnelles donnent sens à son action. Weber insiste donc sur les valeurs, les intentions et les choix individuels, rappelant que l’homme n’est pas seulement soumis à des règles, mais qu’il possède aussi une marge de liberté.

Ces deux visions – celle de Durkheim, qui étudie les forces collectives, et celle de Weber, qui s’intéresse au sens individuel – fondent la richesse de la sociologie moderne.

À retenir

La sociologie cherche à comprendre comment la société influence les individus (Durkheim) et comment les individus donnent du sens à leurs actions (Weber). Nos comportements sont donc à la fois façonnés par des contraintes collectives et porteurs de significations personnelles.

Les grandes interrogations de la sociologie

La sociologie se pose une question centrale : comment expliquer les comportements sociaux ? Pour y répondre, elle s’intéresse à la socialisation, aux valeurs et aux normes qui organisent la vie collective.

Les valeurs sont les grands idéaux partagés par une société, comme la liberté, l’égalité, la solidarité ou le respect. Les normes, elles, sont les règles concrètes qui traduisent ces valeurs dans le comportement quotidien. Par exemple, la valeur du respect se traduit par des normes telles que dire « bonjour », attendre son tour ou céder sa place dans les transports.

Dès la naissance, l’individu apprend à vivre en société : il intériorise ces valeurs et ces normes à travers un processus appelé socialisation. La famille joue ici un rôle essentiel : elle apprend à l’enfant à parler, à se comporter, à distinguer le bien du mal. L’école prend ensuite le relais en transmettant des savoirs et des règles de vie collective, comme le respect des autres ou le goût de l’effort. Cette période de formation est appelée socialisation primaire.

Mais la socialisation ne s’arrête pas à l’enfance. Tout au long de la vie, de nouvelles expériences — le travail, les amis, les médias, les réseaux sociaux — continuent à façonner nos manières de penser et d’agir. C’est la socialisation secondaire, qui permet à chacun de s’adapter à de nouveaux rôles sociaux. Par exemple, un jeune salarié apprend des comportements spécifiques au monde du travail : ponctualité, autonomie, langage professionnel.

Ainsi, chaque individu devient un acteur social. Il est influencé par la société, mais il agit aussi sur elle. L’acteur social n’est pas passif : il peut interpréter, résister ou transformer les règles apprises. Cette notion est centrale chez Weber, pour qui comprendre la société, c’est comprendre les stratégies et les motivations de ceux qui la composent.

À retenir

La socialisation est le processus par lequel les individus apprennent les normes et les valeurs de leur société. Elle commence dans la famille et se poursuit toute la vie. L’acteur social est à la fois influencé par son environnement et capable d’agir sur lui.

Comment les sociologues mènent leurs enquêtes

Pour étudier la société, les sociologues adoptent une démarche scientifique : ils observent les comportements, formulent des hypothèses et les testent à l’aide d’enquêtes. Tout commence par une question de recherche : pourquoi les filles réussissent-elles mieux à l’école que les garçons ? comment les jeunes choisissent-ils leur orientation ? pourquoi certains groupes votent-ils plus que d’autres ?

Pour y répondre, ils utilisent deux types de données complémentaires :

  • Les données quantitatives sont des données chiffrées : statistiques, pourcentages, graphiques, taux. Elles permettent de mesurer et de repérer des tendances. Par exemple, les données de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques, organisme français) montrent que les enfants de cadres ont environ trois fois plus de chances de devenir cadres que les enfants d’ouvriers. Ces chiffres révèlent l’existence d’inégalités persistantes dans la société.

  • Les données qualitatives, elles, s’appuient sur des entretiens, des observations ou des récits de vie. Elles cherchent à comprendre le sens des comportements et les motivations des individus. Un bon exemple est l’enquête « Trajectoires et origines », réalisée par l’INED (Institut national d’études démographiques, organisme français) et l’INSEE. Cette étude analyse les liens entre origine sociale ou migratoire et parcours de vie : éducation, emploi, famille. Elle a montré, par exemple, que les enfants d’immigrés réussissent souvent mieux que prévu à l’école lorsqu’ils bénéficient d’un fort soutien familial, mais qu’ils rencontrent encore des difficultés d’accès à certains emplois. D’autres enquêtes portent sur les choix d’orientation scolaire : elles montrent que les élèves de milieux populaires se dirigent moins vers les filières prestigieuses, parfois par autocensure, même lorsqu’ils ont de bons résultats.

Ainsi, les sociologues utilisent les chiffres pour observer les tendances générales et les témoignages pour comprendre les expériences individuelles. Cette double approche permet de relier les comportements personnels à des logiques collectives.

À retenir

Les sociologues utilisent des données quantitatives (chiffres, statistiques) pour mesurer les phénomènes et des données qualitatives (entretiens, observations) pour en comprendre le sens. Ces deux méthodes se complètent pour expliquer les comportements sociaux.

Les modèles en sociologie : simplifier pour comprendre

Pour mieux analyser la réalité sociale, les sociologues élaborent des modèles, c’est-à-dire des représentations simplifiées du réel. Ces modèles mettent en évidence des relations entre variables sociales : le niveau de diplôme et le revenu, le genre et les choix d’études, ou encore l’origine sociale et la réussite scolaire.

Le sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002) et son collègue Jean-Claude Passeron (1930-2024) ont développé un modèle célèbre : celui de la reproduction sociale. Selon eux, l’école, loin de corriger les inégalités, tend souvent à les reproduire. Elle valorise les connaissances, les manières de parler et les références culturelles des classes favorisées. Un élève dont les parents lisent beaucoup ou fréquentent des musées est plus familier avec les attentes scolaires qu’un élève qui ne dispose pas de ces ressources. L’école récompense donc davantage ceux qui possèdent déjà ce qu’elle enseigne.

Ce modèle a profondément marqué la sociologie française, car il a montré que la réussite ne dépend pas seulement du mérite personnel, mais aussi du capital culturel transmis par la famille.

À retenir

Les modèles sociologiques permettent de comprendre les régularités des comportements sociaux. Le modèle de la reproduction sociale de Bourdieu et Passeron explique pourquoi les inégalités se maintiennent malgré la démocratisation de l’école.

Conclusion

La sociologie est une science de la société qui cherche à comprendre comment les individus agissent ensemble et pourquoi leurs comportements diffèrent selon leur milieu, leur âge ou leur genre. En s’appuyant sur des enquêtes, des données et des modèles, elle met en lumière les influences sociales souvent invisibles qui façonnent nos vies.

De Durkheim à Weber, de Bourdieu à Passeron, les sociologues français et allemands ont montré que nos choix sont à la fois personnels et sociaux. Grâce aux travaux de l’INSEE et de l’INED, la sociologie s’appuie sur des données concrètes pour éclairer la réalité contemporaine. Dans un monde où les inégalités, les mobilités et les transformations sociales s’accélèrent, elle nous aide à comprendre la société pour mieux y agir.