Introduction
Représentée en 1642 au théâtre du Marais et publiée pour la première fois en 1644, Le Menteur est la dernière grande comédie baroque de Corneille. Elle connaît un immense succès et demeure l’une de ses pièces les plus originales. Elle s’inscrit dans le parcours « Mensonge et comédie », puisque l’intrigue repose sur les mensonges du héros Dorante. Ce personnage, jeune et séduisant, multiplie les inventions pour impressionner, séduire et briller, au risque de s’enliser dans ses propres histoires. L’œuvre, à la croisée du baroque et du classicisme, interroge la valeur du mensonge dans le cadre de la comédie, entre plaisir, illusion et critique sociale.
L’auteur et le contexte
La vie de Corneille
Pierre Corneille naît à Rouen en 1606 dans une famille de la bourgeoisie de robe. Après des études brillantes chez les jésuites, il devient avocat, mais se passionne rapidement pour le théâtre. Sa première comédie, Mélite (1629), marque le début d’une carrière féconde.
En 1637, Le Cid connaît un triomphe retentissant, mais déclenche aussi une violente polémique : la pièce, jugée trop audacieuse dans son mélange des tons et dans son traitement de l’amour et de l’honneur, est critiquée par l’Académie française à la demande de Richelieu. Ce débat, appelé la querelle du Cid, oppose partisans de la liberté créatrice et défenseurs des règles naissantes du classicisme, et place Corneille au centre de la vie littéraire de son temps.
Il poursuit ensuite son œuvre avec des tragédies majeures, mais aussi des comédies. Parmi elles, Le Menteur (1642-1644) se distingue comme l’une de ses réussites les plus originales : par son comique fondé sur les quiproquos, les mensonges et la peinture des travers sociaux, elle annonce déjà le style que Molière développera dans ses propres comédies de mœurs.
Reçu à l’Académie française en 1647, Corneille continue d’écrire jusqu’aux années 1670, même si ses dernières pièces rencontrent un succès plus limité. Il meurt à Paris en 1684.
Le contexte politique et historique
Le Menteur paraît au début du règne de Louis XIV, alors enfant. La régence est assurée par Anne d’Autriche et Mazarin. La France est engagée dans la guerre de Trente Ans (1618-1648), évoquée dans la pièce. À l’intérieur, les tensions politiques aboutiront bientôt à la Fronde (1648-1653).
Le contexte littéraire
Au XVIIᵉ siècle, le théâtre est l’art majeur. Le goût baroque, marqué par l’abondance, le mélange des registres et le goût des illusions, domine au début du siècle. Mais à partir des années 1630, se développent les règles du théâtre classique : vraisemblance, bienséance et unités de temps, de lieu et d’action. Le Menteur est à la charnière de ces deux esthétiques : la pièce respecte une certaine régularité, mais l’intrigue repose sur le jeu des illusions et des mensonges, héritage baroque.
À retenir
Le Menteur illustre la transition entre baroque et classicisme : régularité des règles mais intrigue fondée sur l’illusion et le mensonge.
Présentation de l’œuvre
Le genre
Le Menteur est une comédie sociale. Elle met en scène les travers de son époque, notamment l’obsession du paraître et la fragilité de l’honneur. Comme toute comédie, elle repose sur quiproquos, rebondissements et une issue heureuse.
La structure
La pièce est divisée en cinq actes :
Acte I : Dorante, nouvel arrivant à Paris, séduit par des récits glorieux inventés. Il confond Clarice et Lucrèce, erreur qui alimente toute l’intrigue.
Acte II : son père veut le marier à Clarice, qu’il croit ne pas aimer à cause du quiproquo. Il invente alors un faux mariage à Poitiers.
Acte III : Clarice, trompée et jalouse, exige des explications. Dorante est contraint d’avouer son mensonge.
Acte IV : pour éviter une rencontre imaginaire, Dorante prétend que sa femme fictive est enceinte. Parallèlement, il se rapproche de Lucrèce.
Acte V : la vérité éclate. Dorante doit choisir et épouse finalement Lucrèce.
À retenir
L’intrigue repose sur une confusion de prénoms et une série de mensonges qui provoquent quiproquos et rebondissements comiques.
Analyse de la pièce
Les personnages
Dorante : héros menteur, habile et séduisant, mais piégé par ses propres mensonges.
Clarice et Lucrèce : deux jeunes femmes dont Dorante est tour à tour épris. Clarice, prudente et méfiante, cherche à se protéger des mensonges. Lucrèce apparaît plus sincère et devient finalement l’élue du héros.
Géronte : père crédule, garant de l’honneur familial mais sans réelle autorité.
Alcippe : amoureux jaloux de Clarice, il apporte une veine comique en croyant les mensonges de Dorante.
Les thématiques
L’amour : moteur de l’intrigue, il justifie les mensonges de Dorante et provoque les scènes de jalousie, de rivalité et de séduction.
Le mensonge : Dorante en fait son arme de séduction. Mais d’autres personnages mentent aussi, ce qui relativise sa faute. Le mensonge devient un ressort dramatique et comique.
L’honneur : Géronte incarne la défense de l’honneur, mais Dorante symbolise une jeunesse insouciante, plus attirée par le plaisir que par les valeurs traditionnelles.
Le lien avec le parcours
Le parcours « mensonge et comédie » éclaire la pièce :
Le mensonge n’est pas ici condamné, il est un jeu qui déclenche l’action.
La comédie repose sur ces mensonges, qui créent quiproquos et rebondissements.
Plus largement, le théâtre lui-même est un art du mensonge : il repose sur le jeu des apparences et sur l’illusion.
À retenir
Le Menteur montre que le mensonge, loin d’être seulement un défaut moral, devient moteur de la comédie et source de plaisir théâtral.
Conclusion
Le Menteur est une comédie brillante qui allie intrigue amoureuse, rebondissements comiques et réflexion sur le mensonge. Corneille, au carrefour du baroque et du classicisme, y montre que l’illusion est au cœur du théâtre. La pièce illustre parfaitement le parcours « mensonge et comédie » : en multipliant les mensonges, Dorante entraîne spectateurs et lecteurs dans un jeu où l’illusion se transforme en divertissement et en critique des travers sociaux.
