La socialisation tout au long de la vie : changements et continuités

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Dans cette leçon, tu vas découvrir comment la socialisation se poursuit tout au long de la vie, bien après l’enfance. Tu comprendras comment les expériences personnelles, professionnelles et sociales transforment nos comportements, tout en maintenant une continuité avec les apprentissages acquis dans l’enfance. Mots-clés : socialisation, habitus, socialisation secondaire, resocialisation, continuité, identité, changement.

Introduction

On imagine souvent que la socialisation — c’est-à-dire l’apprentissage des règles, des valeurs et des comportements attendus dans une société — s’arrête à la fin de l’enfance. Pourtant, devenir adulte ne signifie pas cesser d’apprendre à vivre avec les autres. À chaque étape de la vie, de nouvelles expériences — professionnelles, familiales ou sociales — transforment nos manières de penser et d’agir.

Entrer dans la vie professionnelle, fonder une famille, divorcer, changer de métier ou partir vivre ailleurs : tous ces moments nous obligent à réapprendre à interagir avec les autres. Ces transformations forment ce qu’on appelle la socialisation secondaire, qui s’ajoute à la socialisation primaire (celle de l’enfance, assurée surtout par la famille et l’école).

Comment la socialisation se poursuit-elle à l’âge adulte ? Et dans quelle mesure cette socialisation combine-t-elle changements et continuités ?

De la socialisation primaire à la socialisation secondaire

La socialisation primaire a lieu pendant l’enfance. Elle permet d’acquérir les repères essentiels : parler, se comporter selon les règles, respecter les normes et comprendre les valeurs fondamentales de la société. La famille et l’école en sont les principaux acteurs.

Mais la vie adulte confronte chacun à de nouveaux univers — le travail, la vie de couple, la parentalité, la citoyenneté — qui nécessitent d’autres apprentissages. C’est la socialisation secondaire, c’est-à-dire l’ensemble des transformations qui se produisent tout au long de la vie.

Cette socialisation ne remplace pas la première : elle s’y superpose. Les apprentissages de l’enfance demeurent, mais ils s’adaptent à de nouveaux contextes. Le sociologue Peter Berger (Autriche, 1929–2017) et le politologue Thomas Luckmann (Allemagne, 1927–2016) expliquent que la socialisation secondaire consiste à intérioriser des sous-mondes sociaux spécifiques — par exemple, le monde du travail ou la vie associative. Cela signifie qu’à chaque étape, nous apprenons les codes d’un univers particulier.

Ainsi, un jeune enseignant découvre les normes du milieu scolaire : parler avec autorité, gérer une classe, collaborer avec des collègues. Une infirmière apprend à respecter la hiérarchie hospitalière et à développer une communication adaptée avec les patients. Ces apprentissages complètent, sans les effacer, les valeurs de respect et d’empathie transmises dans l’enfance.

À retenir

La socialisation secondaire s’ajoute à la socialisation primaire. Elle permet d’intégrer les normes et les comportements propres à de nouveaux univers sociaux — travail, couple, engagement citoyen — et d’ajuster les apprentissages acquis durant l’enfance.

Les transformations liées aux événements de vie

Chaque étape de la vie adulte est une expérience de resocialisation, c’est-à-dire une adaptation à de nouveaux contextes. Ces transformations sont souvent liées à des événements de vie : emploi, mariage, divorce, naissance, déménagement ou vieillissement.

Par exemple, selon l’INSEE (2023), environ 43 % des mariages en France finissent par un divorce, souvent accompagné d’une période de réorganisation familiale et émotionnelle. Se séparer implique de redéfinir les rôles et les relations : un parent célibataire apprend à gérer seul le quotidien et à se redécouvrir en dehors du couple.

Le monde professionnel est aussi un espace majeur de socialisation. Chaque emploi exige d’adopter un langage, une posture et des valeurs propres à son milieu. D’après la DARES (2022), près d’un salarié sur quatre a changé d’emploi au cours des cinq dernières années : chaque mobilité professionnelle entraîne un réapprentissage — nouveaux collègues, nouvelles règles, nouveaux objectifs.

Le sociologue Erving Goffman (Canada, 1922–1982), auteur de Asiles (1961), a montré que certaines situations imposent une resocialisation totale, comme dans l’armée, la prison ou les internats. Dans ces contextes, les individus doivent abandonner leurs anciens repères pour intégrer des règles et des comportements entièrement nouveaux.

Enfin, certaines formes de socialisation secondaire sont plus douces et progressives : un changement d’environnement, une migration ou l’entrée dans la vie associative conduisent à apprendre, par observation ou imitation, les manières de faire et de parler propres à un nouveau groupe.

Deux formes particulières de socialisation secondaire peuvent être distinguées. La socialisation anticipatrice, d’abord, désigne le fait d’adopter à l’avance les comportements d’un groupe que l’on souhaite rejoindre : un étudiant en médecine, par exemple, apprend à se comporter comme un futur médecin avant même d’obtenir son diplôme. La socialisation de conversion, ensuite, correspond à une transformation plus radicale des valeurs et des comportements, comme lorsqu’une personne change de religion, de métier ou de mode de vie après une rupture biographique importante.

À retenir

La socialisation évolue au fil des expériences : travail, couple, divorce, mobilité ou conversion. Ces événements obligent chacun à ajuster ses manières d’agir et de penser selon les nouveaux contextes rencontrés.

Continuités et réinterprétations : une identité en mouvement

Malgré ces changements, la socialisation conserve une part de continuité. Les valeurs et habitudes acquises durant l’enfance — ce que Pierre Bourdieu (France, 1930–2002) appelle l’habitus — continuent d’influencer nos comportements. L’habitus regroupe l’ensemble des dispositions durables acquises dans le milieu familial : manières de penser, goûts, attitudes. Mais Bourdieu précise qu’il s’agit d’une structure ouverte, capable d’évoluer au contact de nouvelles expériences.

Ainsi, une personne élevée dans un cadre très strict peut, grâce à son milieu professionnel, apprendre à être plus tolérante et à relativiser l’autorité. Inversement, quelqu’un issu d’un environnement très libre peut découvrir, dans une entreprise hiérarchisée, l’importance de la rigueur et du respect des règles. L’habitus oriente donc les comportements, sans les figer : il évolue à mesure que les individus rencontrent de nouveaux milieux.

Les transformations sociales récentes accentuent ces réajustements. Les rôles de genre évoluent : les hommes participent davantage aux tâches domestiques, et les femmes occupent plus souvent des postes de direction. Les technologies numériques modifient les habitudes : il faut apprendre à gérer son image en ligne, à communiquer à distance ou à collaborer virtuellement.

Le vieillissement représente également une étape clé de resocialisation. Le passage à la retraite, l’entrée dans la dépendance ou la solitude modifient les relations sociales et le rapport au temps. Selon l’INSEE (2024), près de 21 % de la population française a plus de 65 ans : un chiffre en hausse qui souligne l’importance des espaces de resocialisation collective pour les seniors — clubs, associations, maisons de quartier ou centres d’activités — où ils peuvent échanger, s’entraider et maintenir un lien social actif.

À retenir

La socialisation combine changements et continuités. L’habitus agit comme une structure souple qui s’adapte au fil des expériences. Les transformations sociales, les innovations technologiques et le vieillissement transforment nos comportements tout en maintenant une cohérence avec les apprentissages de l’enfance.

Conclusion

La socialisation est un processus continu qui accompagne chacun tout au long de la vie. Si la socialisation primaire fonde la personnalité, la socialisation secondaire permet de l’adapter aux nouveaux contextes : travail, famille, mobilité, vieillesse ou environnement numérique.

Ces apprentissages se superposent plutôt qu’ils ne s’effacent : la socialisation adulte enrichit celle de l’enfance et la réinterprète à la lumière des nouvelles expériences. Elle montre que nos comportements ne sont jamais totalement figés, mais qu’ils s’ajustent sans cesse aux situations.

Comprendre la socialisation comme un processus évolutif permet de saisir que, tout au long de la vie, nous restons des êtres en apprentissage : capables de changer, de nous adapter et de redéfinir notre identité tout en conservant les traces de nos premières expériences sociales.