Introduction
Depuis les années 1950, les mers et les océans sont devenus des espaces stratégiques où les grandes puissances affirment leur influence, protègent leurs intérêts et déploient leurs capacités militaires. Loin d’être des zones neutres, ils concentrent désormais des enjeux économiques, juridiques et sécuritaires majeurs.
La dissuasion nucléaire maritime et les forces de projection constituent deux instruments essentiels de cette présence. Par leur capacité à frapper ou à intervenir loin des frontières, ils permettent aux États d’exister dans la compétition stratégique mondiale. Ce déploiement de puissance s’inscrit dans un cadre défini par le droit de la mer, mais que les tensions régionales et les ambitions de certaines puissances remettent de plus en plus en cause.
La dissuasion nucléaire en mer : sécurité et crédibilité
La dissuasion est une stratégie militaire consistant à empêcher une agression en menaçant l’adversaire d’une riposte certaine et inacceptable. Elle repose sur deux piliers : la capacité de frappe en second et la crédibilité de la posture politique. Loin d’être offensive, la doctrine française, par exemple, reste strictement défensive.
Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) sont au cœur de cette stratégie. Grâce à leur propulsion nucléaire, ils peuvent rester immergés durant plusieurs mois, se déplacer furtivement et lancer des missiles balistiques intercontinentaux. Leur discrétion leur garantit une capacité de riposte en toutes circonstances.
La Force océanique stratégique française comprend quatre SNLE armés de missiles M51, capables de toucher des cibles à très longue distance. Ce dispositif assure la permanence de la dissuasion. D’autres puissances comme les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la Chine et l’Inde possèdent également une composante océanique de leur dissuasion nucléaire.
À retenir
La dissuasion nucléaire en mer repose sur des moyens invisibles mais capables de riposter à toute attaque. Elle garantit la sécurité par une menace crédible et permanente.
Les forces de projection : étendre son action au-delà du territoire
Les forces de projection permettent à un État d’intervenir rapidement hors de ses frontières, sans dépendre d’un autre pays. Elles mobilisent des moyens navals, aériens et logistiques capables de se déployer partout dans le monde.
Le porte-avions en est l’élément central. Il permet de lancer des avions de chasse depuis la mer, sans avoir besoin de recourir à un pays hôte, c’est-à-dire un État accordant l’accès à une base militaire sur son sol. Le Charles-de-Gaulle, seul porte-avions à propulsion nucléaire européen, constitue le cœur de la force navale française.
Autour de ce bâtiment gravite un groupe aéronaval, composé de frégates, de sous-marins d’attaque, d’aéronefs et de bâtiments de soutien. Ce dispositif offre une puissance de feu importante, c’est-à-dire la capacité à infliger des dégâts à des cibles militaires ou stratégiques.
La France l’a démontré dans des opérations extérieures (OPEX) comme Chammal, en soutien à la coalition contre Daech. Ces interventions illustrent l’usage diplomatique et stratégique des forces de projection dans le maintien de la paix, la protection des intérêts et la lutte contre le terrorisme.
La dissuasion conventionnelle, distincte de la dissuasion nucléaire, repose sur la présence militaire visible et la capacité d’intervention rapide, qui peuvent suffire à dissuader un adversaire de passer à l’action.
À retenir
Les forces de projection permettent à un État d’agir au loin, de protéger ses alliés ou ses intérêts, et d’imposer sa présence dans les zones stratégiques.
Le droit de la mer et les rivalités maritimes
La Convention de Montego Bay (1982) structure juridiquement les espaces maritimes :
Les eaux territoriales (jusqu’à 12 milles) relèvent de la souveraineté de l’État côtier.
La zone économique exclusive (ZEE) (jusqu’à 200 milles) donne à l’État des droits exclusifs sur les ressources.
La haute mer, au-delà des ZEE, est un espace commun, libre de navigation mais soumis à certaines règles.
Malgré ce cadre, de nombreuses zones maritimes font l’objet de contestations. En mer de Chine méridionale, la Chine développe une politique de contrôle offensif (construction d’îlots, militarisation) pour appuyer des revendications contraires au droit international. Sa puissance navale croissante s’appuie sur un ambitieux programme de construction de navires, sur une stratégie de déploiement global (notamment via le collier de perles) et sur l’intégration de ses ambitions maritimes à la Belt and Road Initiative.
La Russie, de son côté, utilise sa marine dans des contextes de conflit. En Syrie, elle a maintenu une base navale à Tartous en soutien au régime affaibli. En mer Noire, depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, sa flotte est mobilisée dans des opérations de surveillance, d’attaque et de blocus.
À retenir
Le droit de la mer organise les usages des espaces maritimes, mais de nombreux États cherchent à étendre leur influence, au prix de tensions régionales accrues.
Démonstrations de force et militarisation des mers
Une démonstration de force est une action militaire non offensive mais visible, destinée à impressionner ou dissuader un adversaire. Elle peut prendre la forme de manœuvres navales, d’exercices conjoints ou de passages dans des zones sensibles.
Les États-Unis, par exemple, mènent des opérations de liberté de navigation (Freedom of Navigation Operations, FONOPs) pour contester les revendications excessives de certains pays, notamment la Chine. Ces opérations visent à défendre le droit international maritime en naviguant volontairement dans les eaux revendiquées.
La France participe également à ce type d’actions, dans l’Indo-Pacifique ou en Méditerranée, affirmant sa présence stratégique. Les tensions montent aussi en Arctique, où la fonte des glaces attire les convoitises.
Parallèlement, une course aux armements navals se développe : mise en service de nouveaux porte-avions, armes hypersoniques, systèmes de brouillage, mais aussi développement de drones sous-marins autonomes (Unmanned Underwater Vehicles, UUV), capables d’opérer sans équipage pour des missions de renseignement ou d’attaque.
À retenir
Les démonstrations de force et les innovations militaires montrent que la mer est désormais un espace stratégique disputé, où la technologie joue un rôle croissant.
Conclusion
Les mers et les océans sont devenus des espaces essentiels de la puissance étatique. Par la dissuasion nucléaire, les États protègent leur sécurité stratégique. Par les forces de projection, ils interviennent sur des théâtres lointains. Encadrée par le droit international, la gouvernance maritime est fragilisée par les ambitions croissantes de puissances comme la Chine ou la Russie. Les démonstrations de force, les FONOPs, la montée des tensions en mer Noire ou en Arctique, et la militarisation technologique dessinent une mer désormais au cœur des rivalités du XXIe siècle. Elle est à la fois un champ d’influence, un lieu d’affrontement potentiel et un espace de souveraineté contestée.
