La notion de service public et ses valeurs

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Donner un sens au service public suppose d’adosser ce dernier à un certain nombre de valeurs essentielles. Elles se définissent comme suit : les valeurs issues des principes fondamentaux de la République française (liberté, égalité, fraternité, laïcité et intérêt général) ; les valeurs professionnelles propres à la fonction publique française (continuité, intégrité, principes de légalité et de loyauté, neutralité, engagement et respect) ; les valeurs dites « de service » (transparence et responsabilité, adaptabilité, efficience, qualité, gratuité et participation).

1 - La notion de service public

Constitue un service public, toute activité prise en charge par une per- sonne publique, directement ou sous son contrôle, poursuivant un but d’intérêt général et soumise à un régime exorbitant de droit commun.

Aujourd’hui, des évolutions majeures ont des répercussions sur les missions des services publics. Les mutations qui impactent les politiques publiques, à tout niveau, trouvent leurs sources dans les phénomènes de la mondialisation, pour lesquels sept champs de grandes mutations sont identifiables. Il s’agit des enjeux résultant :

  • des transitions écologiques (changements climatiques) ;​
  • de la qualité de l’action publique ;
  • de la démocratie et la citoyenneté ;
  • des réformes institutionnelles territoriales et de leurs impacts ;
  • des transitions numériques de l’offre de service public (lutte contre la fracture numérique) ;
  • de la cohésion urbaine ;
  • de la promotion de la santé.

De la sorte, l’action publique connaît des modifications internes profondes touchant la gouvernance, le management, la gestion des ressources humaines, l’évolution des métiers.

La construction européenne peut aussi remettre en cause le service public « à la française ». Au sein de l’Union européenne (UE), on distingue ainsi les services d’intérêt général (SIG) et ceux d’intérêt économique général (SIEG).

2 - Les valeurs fondamentales du service public

A - La liberté

Alors que certains soulignent que « le service public justifie toute extension de l’État et toute restriction des libertés » (Pierre Delvolvé, « Service public et libertés publiques », RFDA, 1985, p. 1), il convient de rappeler que seules les lois peuvent restreindre les libertés dans le strict respect des principes consacrés au sein du bloc de constitutionnalité.

B - L'égalité 

Aucune distinction n’est faite entre les usagers : c’est le principe d’égalité d’accès et de traitement.

Ce principe n’interdit pas, cependant, de différencier les modes d’action du service public. Ce sont les réponses aux besoins qui peuvent être différentes dans l’espace et dans le temps selon la diversité de situation des usagers.

C - La fraternité

Les services publics visent la cohésion sociale en assurant des missions dans l’intérêt de tous.
En découle une obligation morale qui tend à la correction des inégalités dans l’intérêt de la société : la solidarité.

D - La laïcité

Fondement de la société française, la laïcité s’exprime dans la liberté de conscience, la liberté de culte, la libre organisation des églises, leur égalité juridique, le droit à un lieu de culte, la neutralité des institutions envers les religions, la liberté d’enseignement, l’encadrement des relations financières entre les collectivités territoriales et les religions et prend corps dans le principe de neutralité des services publics.

E - L'intérêt général

Il décrit la finalité de l’action de l’État au niveau d’un pays. Il ne saurait être réduit à la somme des intérêts particuliers mais s’entend davantage comme la somme des intérêts particuliers et de l’intérêt de la collectivité, ce qui transcende l’intérêt des individus.


En France, l’intérêt général n’a pas de valeur constitutionnelle. Il est le fondement du droit public qui définit le cadre du service public et de ses corollaires : utilité publique, domaine public, ordre public.
L’action administrative trouve sa justification et sa finalité dans la recherche de l’intérêt général sous le contrôle vigilant du juge.

3 - La création et la suppression des services publics

Les lois de décentralisation (actes I et II) ont élargi la possibilité pour les collectivités territoriales (CT) de créer des services publics.

Il y a 3 sortes de services publics locaux :

– les services publics obligatoires : issus des blocs de compétence. Ils sont créés par la loi. C’est le cas des transferts de compétences de l’État vers les CT ;

– les services publics facultatifs, généralement issus de la clause générale de compétence réservée aux communes. Ainsi, les communes peuvent créer les services publics qu’elles estiment opportuns, au vu des attentes de la population (école de musique ou conservatoire à rayonnement régio- nal dans le domaine culturel, de cantine scolaire et de garderies périscolaires, équipements et activités sportifs...) ;

– les services publics interdits, puisque les CT ne peuvent fausser la concurrence avec le secteur privé, ou encore pour les services publics relevant de la stricte compétence de l’État.

4 - Les grands principes de fonctionnement des services publics, dit lois de Rolland (début 20e siècle)

A - Le principe de continuité : l'essence même du service public

Il repose sur la nécessité de répondre aux besoins d’intérêt général et sur l’impératif de sécurité juridique.

Tout service doit fonctionner de manière régulière sans autre interruption que celle prévue par la réglementation en vigueur et au vu des attentes des usagers. Il s’agit d’un principe à valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979 relative à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée de travail). Le Conseil d’État en a fait un principe général du droit (PGD) par son arrêt du Conseil d’État – CE de 1980, Dame Bonjean.

Le droit de grève, également à valeur constitutionnelle, doit être concilié avec la continuité du service public. Il est réglementé par la loi du 31 juillet 1963 qui prévoit :

  • le dépôt d’un préavis d’au moins 5 jours francs à l’autorité hiérarchique concernée ;​
  • la tenue, durant ce préavis, de négociations entre l’administration et les organisations syndicales ;
  • l’interdiction des grèves surprises, des « grèves du zèle » et des grèves « tournantes » ou « perlées » par roulement.

À noter que le droit de grève est interdit aux agents exerçant dans la police, l’administration pénitentiaire, les transmissions du ministère de l’Intérieur, la magistrature ainsi qu’aux militaires.

Le principe de continuité a induit l’introduction du service minimum pour certaines catégories d’agents : ceux de la navigation aérienne, des hôpitaux et récemment dans les transports publics, avec la loi du 27 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les trans- ports terrestres réguliers de voyageurs.

De même, un service minimum d’accueil par les communes a été institué (loi du 20 août 2008 créant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires durant le temps scolaire) dans les établissements recensant plus de 25 % de grévistes parmi le personnel enseignant. Toutefois, ce principe n’exclut pas qu’un service public soit supprimé : il doit être compris au regard du principe de mutabilité, son corolaire ; l’adaptabilité du service public rend impossible l’exigence de son maintien en l’état ou le refus de sa suppression par les usagers.

B - Le principe de mutabilité, dit aussi "principe d'adaptabilité"

Le principe de mutabilité n’est ni un principe à valeur constitutionnelle, ni un principe général du droit (PGD) : il a été dégagé par le Conseil d’État au début du xxe siècle (CE, 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen) mais ce dernier ne lui a pas donné la qualification de PGD.

Il s’agit d’assurer de la manière la plus efficace et efficiente la délivrance et la protection de l’intérêt général, lequel est par définition évolutif. Par conséquent, les services et leurs prestations doivent s’adapter aux changements technologiques, sociétaux, démographiques, réglementaires... Il n’y a donc pas de droit acquis, ni pour les agents ni pour les usagers.

On comprendra aisément que ce principe prend une résonance particulière dans un contexte de rationalisation des coûts : il peut permettre une réduction des services en période de crise économique ou par choix politiques.

Ce principe nourrit le droit des contrats (modification unilatérale des contrats administratifs) et celui des actes unilatéraux (nul n’ayant de droit acquis au maintien d’une réglementation).

C - Le principe d'égalité

Il découle du principe d’égalité devant la loi. Le Conseil d’État a érigé le principe d’égalité des usagers devant le service public en principe général du droit (CE du 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire).

Ce principe interdit toute discrimination : dans des situations similaires, les usagers du service public doivent être traités de manière identique. En revanche, si les usagers ne sont pas dans les mêmes situations, des différentiations peuvent être apportées, sous réserve d’être justifiées et fondées sur des critères objectifs. C’est le cas de certaines prestations sociales réservées à des personnes les plus défavorisées, de tarifs variant selon les revenus des familles...

La gratuité n’est pas un principe général, sauf pour certains services publics administratifs obligatoires : police administrative, état civil, justice, service d’incendie et de secours par exemple.

Le corollaire du principe d’égalité est l’obligation de neutralité, car le service public doit être assuré sans considération des opinions politiques et religieuses de son personnel.
Le respect du principe d’égalité suppose donc le respect de la laïcité.

À ce titre, les agents ne peuvent pas manifester, dans leurs relations avec les usagers, leurs opinions par une décision partiale, un comportement prosélyte, un signe même discret d’appartenance.
En contrepartie, pour les usagers, la loi du 15 mars 2004 encadre le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

La loi du 12 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public introduit une seconde exception à la libre expression religieuse des usagers du service public.

Ces dispositions ont été complétées par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, parue au JO le 21 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui consacre les valeurs fondamentales communes aux agents publics (devoirs d’impartialité, de probité, de dignité ; obligations de neutralité et de réserve ; garantie du respect du principe de laïcité). Elle est venue renforcer le cadre juridique relatif à la déontologie, aux conflits d’intérêts et aux règles de cumuls. La circulaire du 15 mars 2017, relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique, en précise les intentions et les modalités d’application.


Le fonctionnaire exerce ses fonctions en respectant les principes suivants : 

  • dignité : à ce titre, il « traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité » ;​
  • impartialité;
  • intégrité;
  • probité;
  • neutralité;
  • laïcité : à ce titre, « il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ».

La gratuité n’est pas un principe général, sauf pour certains services publics administratifs obligatoires : police administrative, état-civil, justice, service d’incendie et de secours par exemple.

D - L'élargissement des principes traditionnels en lien avec la réforme de l'État

Il relève de la révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 à 2011 puis de la modernisation de l’action publique (MAP) à compter de 2012 et aujourd’hui avec le programme « Action publique 2022 ». 

Ce dernier programme vise à réinventer le modèle de conduite des politiques publiques, en s’appuyant notamment sur les leviers du numérique et de l’innovation. Lancé en octobre 2017 par le Gouvernement, il poursuit trois objectifs concrets :

  •  assurer un meilleur service public pour les usagers ;​
  • améliorer les conditions d’exercice du métier des agents publics ;
  • baisser la dépense publique pour les contribuables.

L’amélioration des rapports avec les usagers se traduit par les notions d’accessibilité, de simplicité, de rapidité de transparence, de participation... Ces principes font référence à certains dispositifs comme la « charte QUALIVILLE » pour l’accueil de la population, et sa certification dans les collectivités territoriales.

La qualité recouvre les notions d’accessibilité, de fiabilité et de clarté des services publics.
Promu largement par le secteur privé, le concept d’efficience apparaît de plus en plus dans le secteur public. Appliquée au service public l’efficience permet l’optimisation de l’utilisation des ressources publiques associée à une exigence qualitative.

L’évaluation des politiques publiques mesure, à l’aide d’indicateurs, leurs performances.

5 - Les nouvelles modalités d'exercices du service public

A - Le principe du silence vaut acceptation "SVA"

Par application de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, et, conformément à la loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, la règle selon laquelle le silence gardé par l’administration vaut acceptation, est entrée en vigueur pour l’État et ses établissements publics le 12 novembre 2014.


Cette même règle s’applique aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, aux organismes de Sécurité sociale et aux organismes chargés d’un service public administratif depuis le 12 novembre 2015.

Des décrets parus au JO du 1er novembre 2014 ont publié 2 listes d’exception au SVA.

Au final, la liste des procédures pour lesquelles la règle du SVA s’applique est consultable sur le site Légifrance : http://legifrance.gouv.fr/Droit-français/Silence-vaut-accord-SVA.

B - Pour une République numérique

La loi du 7 octobre 2016 entend encourager l’innovation et garantir à tous l’accès au numérique.

Le premier volet de ce texte vise à favoriser la « circulation des données et du savoir » à travers l’ouverture des données publiques et d’intérêt général.

La Commission d’accès aux documents administratifs (la CADA) et la Commission nationale informatique et libertés (la CNIL) auront un rôle essentiel dans la mise en œuvre de ces dispositions.

La création d’un service public de la donnée est confiée à l’État.

Le deuxième volet de la loi traite de la protection des citoyens et des consommateurs sur internet.

Enfin, la troisième partie du texte de loi est consacrée à l’accès au numérique dans tous les territoires et pour les publics en situation de handicap ou précaires.

C - Vers un allégement des contraintes

La loi du 28 octobre 2020 relative à l’accélération et à la simplification de l’action publique vise des objectifs de rationalisation des décisions administratives et l’allégement des contraintes pesant sur les usagers et notamment les entreprises.


On retiendra du dispositif de ce texte :

  • la disparition ou la fusion de certaines commissions consultatives ;​
  • la déconcentration de plusieurs types de décisions administratives individuelles (dans les domaines de la culture, de l’économie ou de la santé) ; 
  • une simplification de certaines démarches administratives (suppression d’un justificatif de domicile pour une inscription au permis de conduire ou du certificat médical pour les enfants pratiquant des activités sportives, par exemple) ;
  • des garanties concernant les installations industrielles sur le territoire; 
  • une facilitation de la vente en ligne de médicaments pour les pharmaciens ;
  • un assouplissement du code des marchés publics.