Anticiper l’évolution des normes juridiques

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Le rapport du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) relatif à l’intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l’action publique (du 17 février 2021) précise le « nouveau pacte territorial » et contribue au débat sur le projet de loi 4D.

1 - L’inflation du droit et l’insécurité juridique des élus locaux

A. La complexité de l’accessibilité au droit

L’inflation du droit est dénoncée depuis de nombreuses années. Ainsi, dès 1991, le Conseil d’État constatait que l’autorité publique était « désarçonnée » devant la complexité du droit à laquelle s’ajoute le droit de l’Union européenne. Par ailleurs, si la question prioritaire de constitutionnalité (QPC ou « exception d’inconstitutionnalité ») représente une avancée pour la démocratie, certains craignent une remise en cause de la sécurité juridique. Au final, l’exigence d’une veille juridique ne suffit pas toujours à garantir la maîtrise du droit positif (le droit actuel, tel qu’il est « posé »).

Alors que la simplification du droit est réclamée depuis de nombreuses années, le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (CNEN) a été institué par la loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 (précisée par le décret n° 2014-446 du 30 avril 2014).

Ensuite, un Médiateur des normes applicables aux collectivités territoriales avait été institué par le décret n° 2014-309 du 7 mars 2014 pour une durée d’un an. Alain Lambert était nommé à ce poste. Suite à la demande du Premier ministre, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard ont été chargés d’élaborer des nouvelles propositions de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales (rapport du 13 septembre 2018). Selon ce rapport, « l’inflation normative génère un coût financier estimé à 14,2 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en dix ans pour les budgets locaux ».

B. Une demande d’un « choc de simplification »

Ce rapport de 2018 recommandait notamment la création, à titre expérimental, d’un droit de dérogation aux communes sur l’application des règlements ne nécessitant pas une autorisation préfectorale préalable. Il préconisait la diffusion, au sein de l’administration, d’une culture de l’allègement des normes par la création d’une « surprime simplification » (versée aux agents en fonction des mesures de simplification réalisées et d’un indicateur « Simplification » utilisé parmi les critères d’évaluation des directeurs d’administration centrale).

Par ailleurs, ce rapport de 2018 présentait des propositions de simplification dans trois domaines prioritaires pour les collectivités territoriales en raison de leur fort impact sur les finances locales : normes parasismiques, sportives et construction (réglementation thermique et règles d’urbanisme).

La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (loi ASAP) marque une étape importante dans quatre domaines : simplifier les décisions administratives, simplifier les démarches des Français au quotidien, contribuer au rebond de l’économie, simplifier la commande publique.

Le projet de loi 4D (différenciation, décentralisation, déconcentration, décomplexification), présenté en Conseil des ministres le 12 mai 2021, a notamment pour objectif, dans le cadre de la différenciation, de donner des outils aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour mieux adapter les politiques menées au niveau local et national. Actualité à suivre.

2 - Vers un nouveau Pacte territorial ?

Le rapport du CNEN de février 2021 relatif à l’intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l’action publique souligne « la nécessité de faire rapidement émerger une nouvelle culture normative. [...] Le pouvoir normatif ne semble pas encore avoir intégré toutes les conséquences des révisions constitutionnelles de 1992, 2003 et 2008, ni totalement celles des lois de décentralisation de 1982 ». Ainsi, ce rapport émet 19 propositions.

A. Le contexte de l’élaboration du rapport du CNEN

Suite à la crise liée à la Covid-19, le CNEN a organisé, dès mai 2020, une série d’auditions d’experts afin de recueillir leurs avis sur le droit qui serait le plus approprié pour donner à l’action publique l’efficacité optimale indispensable pour relever le défi du redressement. Selon lui, « la période inédite que nous traversons, dominée par l’urgence et l’immédiateté, nous appelle à élever plus haut et plus loin notre regard pour être en capacité, le moment venu, de faire face aux conséquences humaines, économiques, sociales, financières et institutionnelles de cette crise sanitaire ».

Ainsi, « le CNEN plaide pour un renforcement massif de la formation des rédacteurs de normes afin qu’ils soient davantage en mesure de maîtriser les préceptes et outils inclus dans les guides, notamment de légistique, et
de proposer, le cas échéant, des alternatives à la norme. L’adoption solennelle de lignes directrices en ce sens nous semblerait nécessaire pour rationaliser la surproduction normative, qui ne cesse d’augmenter, amenant à une complexification croissante de notre système normatif. Le CNEN étant au service de l’État, c’est pourquoi il souhaite apporter sa contribution à la demande du président de la République, exprimée dans une annonce à la Nation en date du 25 avril 2019, de nouer un nouveau pacte territorial. Les circonstances s’y prêtent. Le projet de loi « 4D », qui vient d’être relancé, la volonté de tirer les enseignements de la crise sanitaire, pourraient servir de support au changement promis de notre fonctionnement public ».

B. La nécessaire simplification des relations entre l’État et les collectivités territoriales et l’impératif de transparence

« Renforcer la portée du principe de libre administration, protecteur des libertés locales en vue de limiter les impacts techniques et financiers pesant sur les collectivités territoriales. » Le CNEN rappelle que la libre administration recouvre différents aspects : la liberté de gestion du personnel territorial, la liberté de prendre des actes exécutoires, la liberté d’organisation et de fonctionnement des organes des collectivités, « la liberté de dépenser », la liberté contractuelle. Selon le CNEN, le contenu du principe de libre administration devrait être précisé au niveau constitutionnel et organique. L’objectif viserait à offrir aux collectivités locales une protection renforcée, notamment vis-à-vis des normes coûteuses décidées par le Parlement et le pouvoir réglementaire.

« Clarifier les compétences État-collectivités territoriales pour limiter les impacts techniques et financiers pesant sur les finances publiques, tant locales que nationales. » Le CNEN préconise que les administrations centrales perdent leur faculté de réglementation pour les compétences exercées par les collectivités ; elles seraient davantage responsables car prescriptrices, à charge pour elles d’assumer les coûts afférents induits par les modalités réglementaires d’application qu’elles prescrivent ».

« Assouplir l’exercice des compétences relevant des collectivités territoriales par l’évolution structurelle de la culture normative ». Le CNEN propose de faire évoluer la méthode d’élaboration des projets de texte applicables aux collectivités territoriales ainsi que la méthode de transposition des directives européennes, de créer un réseau de simplification normative et de développer le principe de différenciation territoriale au niveau local (au niveau déconcentré et décentralisé).

Surfez sur Internet

  • Projet de loi 4D : le Conseil national d’évaluation des normes dit ses regrets (www.banquedesterritoires.fr du 23 avril 2021).
  • Rapport relatif à l’intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l’action publique du 17 février 2021 (www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr).
  • Simplification administrative : des avancées majeures avec la loi ASAP (www.economie.gouv.fr du 4 décembre 2020).