Œuvre clé - John Stuart Mill, L'asservissement des femmes

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Publié en 1869 au Royaume-Uni, The Subjection of Women marque l’un des premiers engagements d’un philosophe d’envergure pour les droits des femmes. De l’aveu de Mill lui-même, son épouse Harriet Taylor y a beaucoup contribué.

I. « Le vestige d’une barbarie passée »

Philosophe et économiste britannique renommé, John Stuart Mill (1806-​1873) compose cet ouvrage dans les années qui suivent la mort d’Harriet Taylor en 1858. Outre son engagement en faveur du droit de vote des femmes, le couple professait un libéralisme teinté de préoccupations sociales, conformément à la doctrine utilitariste prônant la recherche du plus grand bonheur pour le plus grand nombre

La moitié de l’humanité est maintenue dans une forme d’esclavage légal : l’assujettissement des femmes est pour Mill « une fausse note dans la civilisation moderne », vestige d’une époque où la seule force physique assurait la domination. La modernité, fondée sur les droits de la personne, implique « un principe d’égalité totale » entre femmes et hommes.​

Citation

« L’inégalité des droits de l’homme et de la femme n’a pas d’autre source que la loi du plus fort. »

II. La structure du livre

Le premier chapitre réfute l’opinion solidement ancrée selon laquelle il y aurait une inégalité naturelle entre les femmes et les hommes : on peut tout au plus constater des différences qui relèvent en réalité de la coutume

Dans le deuxième chapitre, Mill critique le mariage qui donne au mari tous les droits sur la personne de sa femme, sur ses biens et sur leurs enfants. Dans cette relation, elle est légalement « esclave à toute heure et à tout instant » d’un « despote »

Le chapitre 3 porte sur l’accès au travail : il est injuste d’écarter les femmes de certaines fonctions publiques ou professionnelles. C’est seulement « pour les maintenir en sujétion dans la vie domestique » qu’on les prétend incompétentes dans les autres domaines. 

Enfin, Mill appelle à une « révolution sociale » établissant l’égalité des droits (chapitre 4). Celle-ci conduirait à une « régénération morale de l’humanité » qui ne bénéficierait pas seulement aux femmes mais à l’ensemble de la société.

Citation 

« Aucun esclave n’est esclave à un tel point et dans un sens aussi fort du terme qu’une femme. »

III. « La force de l’éducation »

L’ouvrage détruit la notion naïve de « nature féminine » : les différences de caractère entre les hommes et les femmes ne sont pas le fait de la nature, mais s’expliquent par « les influences qui forment la personnalité humaine ».

Mill dénonce la manière dont les femmes sont dès leur plus jeune âge conditionnées à devenir des épouses soumises, qui s’efforceront de « vivre pour les autres » et limiteront leurs ambitions à la sphère domestique. Il n’est plus tolérable que « plaire aux hommes » demeure « l’étoile polaire de l’éducation et de la formation de la personnalité féminine ».

Citation

« Ce qu’on appelle aujourd’hui la nature des femmes est quelque chose d’éminemment artificiel. »

Le combat engagé par Mill se prolonge aujourd’hui dans la lutte contre les ​stéréotypes de genre. Si le « sexe » est une donnée biologique, le « genre » est socialement construit  : les sociétés instituent des codes différents pour agir, penser et se penser soit comme une femme, soit comme un homme. Simone de Beauvoir a attiré l’attention sur cette distinction en écrivant : « on ne naît pas femme, on le devient » (Le Deuxième sexe, 1949).

Harriet Taylor Mill (1807-1858)

L’épouse de John Stuart Mill, également philosophe, a eu une grande influence sur l’ouvrage. Dans son Autobiographie (1873), Mill explique avoir toujours été féministe, mais déclare : 
« Sans la rare connaissance qu’avait Harriet de la nature humaine et sa compréhension des influences sociales et morales, j’aurais sans doute eu la même opinion qu’aujourd’hui, mais j’aurais eu une perception très incomplète de la façon dont les conséquences de la position d’infériorité des femmes s’enchevêtrent avec tous les maux de la société actuelle et toutes les difficultés qui font obstacle au progrès de l’humanité ».