Comment est née l'expression de la sensibilité individuelle ?

Signaler

« Le moi est haïssable », déclarait Pascal au XVIIe siècle. L’intérêt pour le moi n’a pas toujours été aussi vif qu’aujourd’hui ! Il faut attendre le XIXe siècle romantique pour que l’intériorité trouve véritablement droit de cité en littérature.

I. L’épopée du moi

1) L’émergence progressive de l’individu

Jusqu’à la Révolution française, l’individu, pris dans un réseau serré de contraintes (la famille, l’État monarchique, la religion) qui pèsent sur sa destinée, n’existe pas en tant que tel ; il se confond avec le groupe.

À partir de la fin du XVIIIe siècle, l’individu s’affranchit des tutelles traditionnelles et se définit désormais comme entité autonome, responsable, en quête d’épanouissement personnel. Une société nouvelle apparaît, plus respectueuse de la liberté de chacun, laissant davantage de place aux désirs individuels.

2) La valorisation de la sensibilité

Rompant avec l’interdiction classique de parler de soi, des voix s’élèvent pour​ proclamer l’infinie richesse de l’intériorité, qui mérite d’être dévoilée : c’est le cas de Jean- Jacques Rousseau dans ses Confessions (1782).

Le romantisme émerge en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle ; le mouvement « Sturm und Drang » (« tempête et passion »), initié par Goethe, irradie dans toute l’Europe et valorise les sentiments. 

Le philosophe Charles Taylor observe la naissance d’une sensibilité « expressiviste », qui affirme la singularité de chacun, cherchant à s’épanouir contre certaines contraintes sociales.

À noter

Le XIXe siècle est surnommé « le siècle du Moi ». Stendhal parle d’« égotisme » pour décrire cet engouement littéraire pour l’affirmation de soi.

II. Le romantisme, ou le triomphe de la sensibilité

1) L’écrivain, un être à la sensibilité singulière

Le poète Lamartine, chantre du romantisme, érige la sensibilité en principe de création novateur : « Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse, et qui ai donné à ce qu’on nommait la muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l’homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l’âme et de la nature » (Méditations poétiques, 1820).

Le mal-être et les désillusions personnelles sont volontiers sources d’inspiration. « Les chants désespérés sont les chants les plus beaux », déclare Musset (Les Nuits, 1837). Il analyse dans sa Confession d’un enfant du siècle (1836), aux accents autobiographiques, le sentiment de malaise diffus, le désenchantement de la jeunesse romantique : c’est le « mal du siècle »

Le poète se démarque du commun des mortels par sa sensibilité exacerbée. Dans Les Contemplations (1856), véritables « Mémoires d’une âme », Hugo tend au lecteur le « miroir » de toutes les émotions humaines, à la fois intimes et universelles.

2) L’exaltation des émois et tourments individuels

Le roman explore en profondeur l’âme des personnages, en accordant une place centrale à l’amour. Dans Adolphe (1816), Benjamin Constant dépeint la lente décomposition d’une relation amoureuse. 

Le romantisme crée des personnages hors du commun, assoiffés d’absolu, tourmentés, passionnés, souvent marginaux, révoltés ou perdus dans l’existence. Delphine, figure féminine forte du roman épistolaire éponyme de Madame de Staël (1802), cherche à vivre un amour impossible dans une société encore conservatrice, qui bride les élans du cœur. 

La nature, refuge salvateur, devient le lieu d’une harmonie retrouvée ; le paysage se fait état d’âme. René, double littéraire de Chateaubriand (René, 1804), cherche en vain sa voie en s’exilant en Amérique, loin d’une société honnie.

Définition

Un paysage état d’âme permet, à travers une description évocatrice, de refléter les sentiments des personnages.

Une peinture de l’âme

Les peintres romantiques cherchent à saisir des émotions intenses. Ce promeneur mystérieux, de dos et de noir vêtu, plongé dans la contemplation de brumes tempétueuses, invite à la rêverie devant l’infini. (Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818))