L'humanité reste-t-elle à inventer ?

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L’univers technique ouvre à de nombreuses interventions sur la nature mais aussi sur l’être humain lui-même : quelles espérances et menaces sont liées à une possible redéfinition de l’humanité par elle-même ?

I. Dépasser nos limites biologiques

Dans Le Geste et la parole (1964), le préhistorien André Leroi-Gourhan dit que notre rapport au monde est médiatisé par des outils, organes artificiels qui prolongent nos intentions : cette « extériorisation » fait de l’humain un être augmenté depuis toujours, qui s’invente en coévolution avec la technique. 

Les performances techniques et scientifiques accomplies grâce aux NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) ouvrent des perspectives sans précédent. Dans La Mort de la mort (2011), le médecin Laurent Alexandre imagine les bouleversements à venir, notamment si l’espérance de vie se trouve significativement augmentée. 

Le transhumanisme rompt avec le modèle thérapeutique de la réparation (restauration d’un état considéré comme normal), et vise à affranchir l’humain de ses limites biologiques (augmentation). Dès 1957, le biologiste Julian Huxley, frère de l’auteur du Meilleur des mondes et partisan de l’eugénisme, décrit une humanité en voie de contrôler consciemment sa propre destinée en se transformant elle-même.

Définition

Le transhumanisme est un courant de pensée qui prône l’utilisation des sciences et des techniques pour transformer notre condition et aller vers une « posthumanité ».

II. Inventer une posthumanité

L’association Humanity+ fondée par Nick Bostrom veut « remodeler notre propre nature de la manière que nous jugeons souhaitable ». La question « Qu’est-ce que l’humain ? » doit faire place à une autre : « Quel est l’humain, ou plutôt le posthumain, que nous voulons produire ? ». 

Ray Kurzweil décrit des cyborgs augmentés de l’intelligence artificielle et libérés de leurs anciennes limites physiologiques par le couplage de la conscience à des supports inorganiques (Humanité 2.0, 2005). 

Dans son Manifeste cyborg (1985), la biologiste Donna Haraway voit dans la construction de cette nouvelle humanité une opportunité pour questionner les catégories binaires (naturel/artificiel, vivant/machine, animal/humain, féminin/masculin…) et les hiérarchies traditionnelles qui en procèdent.

Définition

Le cyborg (cybernetic organism), ou humain bionique, désigne l’être hybride qui associe l’organisme biologique (ce qui est né) et la machine (ce qui est fabriqué).

III. Un projet discuté

Certains assument à l’inverse des positions « bioconservatrices » : Francis Fukuyama estime que la notion de « nature humaine » constitue une référence indépassable et doit inspirer une réglementation éthique et politique de l’usage des biotechnologies (La Fin de l’homme, 2002). 

Michael J. Sandel dénonce dans l’amélioration génétique une atteinte à la dignité humaine. Il défend l’« imprévisible de la vie » face à une idée de la perfection dévoyée par le culte de la performance et de la consommation (Contre la perfection, 2007).

Plus mesuré dans sa critique, Jürgen Habermas note qu’un déplacement de la frontière entre hasard et libre choix pose la question de l’égalité sociale face à l’augmentation, mais affecte aussi la compréhension de soi d’individus qui se percevront comme le produit de la volonté d’autres individus (L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, 2001). 

On peut s’étonner qu’après les totalitarismes du XXe siècle, certains soient encore fascinés par l’idée de construire un homme nouveau. J.-M. Besnier voit dans les « fantasmes transhumanistes » un nouvel avatar du vieux rêve de s’affranchir de notre finitude et « le symptôme de l’image négative que nous nous faisons de nous-mêmes » par rapport à la puissance de nos machines (Demain les posthumains, 2009).

Définition 

La finitude est le caractère de ce qui est fini au sens de limité. Le terme désigne plus spécialement la condition de l’être humain comme mortel conscient de sa mortalité.

La cryogénisation

La cryogénisation (ou cryonie) est une technique fort coûteuse de congélation des cadavres dans l’attente d’une résurrection qui serait rendue possible par des progrès techniques à venir. Elle n’est pas autorisée en France, mais elle a déjà séduit aux États-Unis plusieurs centaines de clients fortunés qui espèrent que le contenu de leur cerveau pourra, un jour ou l’autre, être transféré sur un nouveau support.