Faire le ménage, pratiquer un art ou un sport, etc. : la liste des activités humaines est longue. Parfois fort pénibles, elles peuvent paradoxalement occuper notre temps dit de loisir. Quelle peut être alors la marque distinctive de cette activité que nous nommons travail ?
I. La contrainte
1) Le sens du mot
Le mot « travail » dérive sans doute du latin tripalium, qui désigne un instrument composé de trois pieux plantés dans le sol, utilisé d’abord pour ferrer ou soigner les animaux, puis comme instrument de torture.
2 ) Une activité forcée
Le travail apparaît originairement et essentiellement comme une contrainte. Nous parlons souvent du travail comme d’un labeur, pour souligner la douleur qu’il provoque, ou encore d’un boulot, pour souligner son caractère déprécié.
Une activité serait donc un travail à condition qu’elle soit non souhaitée, pénible et forcée. D’abord, l’homme n’est pas naturellement porté vers le travail, lequel va à l’encontre de ses désirs immédiats. Ensuite, travailler réclame des efforts : alors que le loisir est facile, le travail est difficile. Enfin l’homme qui travaille doit utiliser son énergie intellectuelle et musculaire pour réaliser une tâche qu’il n’a pas choisie. Le travail engendre donc de la fatigue.
Néanmoins, cette thèse se heurte à une double objection : d’une part, nos activités de loisir réclament souvent des efforts et provoquent de la peine ; d’autre part, le travail peut être vécu comme un processus d’épanouissement et l’homme peut être heureux au travail.
II. Le besoin
L’espèce humaine disparaîtrait sans doute si l’homme devait vivre nu dans la nature, sans pouvoir produire d’artifices. Kant souligne cette insuffisance fondamentale : « La nature ne lui a donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement les mains. » Dans cette perspective, le travail répond à un besoin vital, lié à l’instinct de survie, et la technique est le moyen par lequel l’homme produit les conditions d’une existence possible.
De plus, l’émergence de la vie sociale et de la culture engendre une multitude de désirs que la nature ne saurait satisfaire. La nature n’offre au mieux que le strict minimum à un homme qui mène une existence purement animale mais ne s’en contente pas : il veut davantage et c’est justement cela qui fait de lui un homme.
III. L’inscription dans un projet
1) Les activités animales instinctives
Les animaux peuvent effectuer des opérations qui ressemblent au travail humain et dont les résultats sont d’une perfection remarquable, parfois même supérieure. Ainsi, comme le souligne Marx dans Le Capital, une araignée qui tisse sa toile nous fait immanquablement penser au travail du tisserand et « l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. »
À noter
On parle d’activité animale, végétale et minérale (par exemple, l’activité d’un volcan), mais le travail ne concerne que les hommes.
Il n’en demeure pas moins que toutes ces activités résultent d’instincts : inconscientes, elles ne sont pas précédées par un projet intentionnel.
2) Le travail humain intentionnel
Au contraire, comme le montre Marx, le résultat du travail humain « préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. » Ainsi, « ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. »
L’homme travaille donc en ce sens qu’il se représente le résultat de son activité avant d’agir. Le travail se reconnaît à l’investissement conscient qu’il réclame.