La religion implique-t-elle la croyance en un être divin ?

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Le premier critère pour définir la notion de religion que nous pouvons trouver est celui de la croyance en un être divin. Ainsi, la foi en un Dieu est-elle une caractéristique accidentelle ou essentielle de l’attitude religieuse ?

Repères

Essentiel/Accidentel

Est essentiel ce qui appartient à la nature d’une chose, c’est-à-dire ce qui permet de la définir dans le temps, au-delà des modifications superficielles.

Est accidentel, au contraire, ce qui dans une chose peut être modifié ou supprimé sans que la nature de cette chose ne change.

A) Foi et divin

a) Dieu et le divin

Dans un sens général, est divin ce qui nous dépasse, nous transcende, ce qui semble être d’un degré supérieur à la condition humaine normale. Au sens strict, est divin ce qui est relatif à Dieu. Ainsi, dans les Méditations Métaphysiques, René Descartes (1596-1650) prouve l’existence de Dieu à partir du divin, c’est-à-dire à partir de l’idée de perfection : j’ai en moi l’idée de perfection. Or, je ne suis pas un être parfait. Donc cette idée ne peut venir de moi. Il faut donc supposer l’existence d’un être parfait qui est la cause de mon idée de perfection. Cet être parfait, c’est Dieu. Pour Descartes, cela signifie donc que Dieu existe. Il semble alors qu’il ne peut y avoir de foi qu’en un être « déjà » divin, c’est-à-dire en un ou des dieux. Mais on pourrait envisager le contraire : la croyance en un objet qui ne serait pas divin au départ parce que ce serait plutôt la foi qui rendrait divin tout ce en quoi elle croit. Est-ce parce que Dieu est divin que l’attitude religieuse est possible, ou bien est-ce l’attitude religieuse qui implique nécessairement la divinisation de son objet, quel qu’il soit ?

b) C’est Dieu qui me fait croire

La première réponse possible est celle des croyants eux-mêmes. C’est Dieu qui me fait croire, c’est cet être divin qui est cause de l’attitude religieuse. Ainsi, Blaise Pascal (1623-1662), dans Le Mémorial, fait une distinction entre le Dieu « des philosophes et des savants », qui serait un dieu rationnel, et le Dieu des écritures, qui lui serait objet de foi. Il écrit ainsi dans les Pensées : « Je ne puis pardonner à Descartes ; il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ; mais il n’a pas pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n’a plus que faire de Dieu ». À l’opposé du « Dieu des philosophes », le Dieu de Pascal est « sensible au cœur, non à la raison » : il ne se prouve pas par une démonstration mathématique. La foi implique ainsi une nécessaire incertitude qui la rend possible, parce que sinon il s’agirait d’un constat rationnel, et non de foi : le Dieu de la foi est un « Dieu caché ». C’est Dieu qui rend mon cœur sensible, ainsi je crois parce que cet être divin me donne la foi.

c) La foi divinise son objet

À l’inverse, nous pouvons faire l’hypothèse que c’est la foi qui divinise nécessairement son objet, quel qu’il soit. Ainsi, Friedrich Nietzsche (1844-1900) écrit dans Le Gai Savoir : « Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d’années des cavernes où l’on montrera son ombre. » Le philosophe ne proclame pas la fin de la croyance en Dieu (il existe aujourd’hui toujours des croyants), mais constate que dans nos sociétés occidentales contemporaines, Dieu est devenu une affaire privée et non plus publique. Il ne fonctionne plus comme principe structurant de la totalité de l’existence personnelle et collective. Mais cet effacement ne signifie pas que la croyance en Dieu comme référent moral collectif ait complètement disparu. Il persiste « comme une ombre », y compris hors de la religion.

Exemple

Nietzsche considère, alors que la science ne pense reposer sur aucune croyance, que c’est en fait la croyance en la vérité qui la rend possible, ce qui revient à diviniser la vérité. L’attitude religieuse, qui consiste à diviniser ce sur quoi elle porte, se retrouve donc en dehors du domaine strict de la religion. La foi moderne dans la science n’est qu’une manière de pallier la mort de Dieu, de transférer les valeurs qui lui étaient traditionnellement attachées sur un autre objet.

Ainsi, la foi implique bien la croyance en un être divin, dans le sens où c’est elle qui rend l’objet divin, qu’il s’agisse de Dieu ou non.

B) La caractéristique essentielle de la religion n’est pas la croyance en un être divin

Cependant, Émile Durkheim (1858-1917) explique dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse que la religion ne peut pas se définir uniquement comme la croyance en un être divin. En effet, cette définition, héritée de nos traditions monothéistes, a été relativisée par la découverte anthropologique de la diversité extrême des croyances religieuses. Pour Durkheim, il existe au moins une religion sans dieu, le bouddhisme : même si certaines formes de bouddhisme tendent à diviniser la figure du Bouddha, la plupart insistent au contraire sur son humanité. On ne peut pas non plus réduire le bouddhisme à une « philosophie de vie » car celui-ci génère des pratiques et des communautés religieuses.

Ce qui caractériserait avant tout une religion serait l’existence d’une communauté de croyants. Durkheim remarque qu’il n’existe pas de religion « sans Église », au sens de communauté. La foi, qui se présente comme une affaire personnelle entre le croyant et le divin, prend en fait forme dans le cadre d’une relation horizontale entre les membres d’une communauté. Elle peut donc plutôt se définir comme une relation à trois parties : le croyant, un dieu et un témoin. En effet, toute religion implique que le croyant fasse confiance à une personne ou un texte sacré qui témoigne de ce que Dieu s’est manifesté. Il faut que le croyant croie ce que le témoin a vu.

Enfin, Durkheim considère que la caractéristique essentielle de toute religion est de distinguer qui est sacré (c’est-à-dire séparé, mis hors de portée), et ce qui est profane (c’est-à-dire accessible). Le rite religieux aurait pour fonction de relier ces deux aspects, sans jamais leur permettre de se rejoindre complètement. Il permettrait ainsi de préparer le croyant à s’approcher, toujours à bonne distance, de ce qui est sacré.