L’État peut-il faire le bonheur des citoyens ?

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L’action publique est-elle étrangère à la sphère privée ? Le bonheur a-t-il une dimension politique ?

I) L’autorité de l’État peut entraver le bonheur des citoyens

Toutes les formes étatiques ne permettent pas l’expression de la liberté individuelle. Certaines peuvent même aller jusqu’à priver les citoyens des conditions minimales du bonheur : le droit de préserver leur vie et de poursuivre la satisfaction de leurs désirs et de leurs aspirations privés.

Quand il défend des intérêts particuliers et non le bien du peuple, l’État devient un obstacle au bonheur. Plus précisément, il fait alors le bonheur des uns au détriment de celui des autres. Pour Engels, l’État est l’instrument par lequel les classes bourgeoises dominantes policent et répriment les classes ouvrières pour les mettre au service de leur propre bonheur. Dans cette perspective, c’est seulement en renversant l’État capitaliste que la classe ouvrière pourrait envisager une vie heureuse.

II) L’État doit permettre à chacun de chercher le bonheur

1)  Le bonheur est avant tout une affaire privée

Kant nous invite à ne pas confondre ce qui relève de la sphère publique et de la sphère privée. On ne peut pas attendre de l’État qu’il fasse notre bonheur, car cela ne relève pas de ses prérogatives.

L’État qui prétendrait légiférer les affaires privées au point d’être la condition nécessaire et suffisante de notre bonheur serait ainsi « le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir. » En accordant aux hommes le bonheur, l’État les priverait aussi de la liberté de le chercher et de le définir pour eux-mêmes.

2)  Le rôle de l’État est de ne pas empêcher la poursuite individuelle du bonheur

Si l’État ne peut pas faire le bonheur des citoyens sans tomber dans une forme de gouvernement paternaliste qui les prive de leur autonomie, il n’est pas pour autant purement étranger à ce bonheur individuel.

Mot-clé

On appelle autonomie la capacité de l’homme à se déterminer rationnellement sans se conformer à une autorité extérieure. L’autonomie est le plus haut degré de la liberté.

L’État doit permettre à chacun de chercher à être heureux sans priver autrui du même droit à tendre au bonheur.

III) La recherche du bonheur ne doit pas conduire au délaissement de la sphère publique

Tocqueville étudie au XIXe siècle le développement de la démocratie américaine. Or, s’il reconnaît que les citoyens américains jouissent des droits et des libertés propres au régime démocratique, il y voit aussi la naissance d’un nouveau danger politique. En assurant la sécurité des hommes et en les enjoignant à se consacrer uniquement à leurs intérêts privés, l’État américain devient une puissance « ­tutélaire » qui vide la démocratie de son contenu.

Tocqueville rappelle que c’est le débat démocratique et l’intérêt des citoyens qui fondent la vitalité du tissu politique. En abandonnant cette besogne à quelques hommes qui finissent par concentrer d’immenses pouvoirs, les citoyens s’exposent à un despotisme « doux », qui leur garantit la jouissance individuelle mais les prive de leur souveraineté.

Si l’État ne doit pas entraver la recherche individuelle du bonheur, il ne faut pas penser en retour que le bonheur privé soit plus estimable que la participation à la sphère publique, sous peine d’abandonner sa liberté politique.