Colette, Sido, (suivi de) Les Vrilles de la vigne

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Les œuvres Les Vrilles de la vigne (1908) et Sido (1930) s'inscrivent dans le parcours « La célébration du monde ».

I. L’auteur et les contextes historique et culturel

1) Éléments de biographie

Sidonie-Gabrielle Colette a vécu une enfance bourgeoise, heureuse, à Saint-Sauveur-en-Puisaye en Bourgogne où se déroule Sido et où elle est née le 28 janvier 1873. Cette enfance proche de la nature a nourri son œuvre littéraire. Sa mère, Sidonie, est une mère aimante et une femme émancipée qui a eu deux maris. Elle aime dépenser de l’argent et passer du temps dans son jardin où elle semble commander les éléments (vents). Son père, Jules Colette, est un militaire invalide de guerre à la retraite, devenu percepteur et fin lettré. Il initie sa fille à la grande littérature. 

À dix-huit ans, Colette épouse Willy, un écrivain et journaliste célèbre en son temps : mais ce mariage est un échec. Elle a alors une relation amoureuse avec une artiste, Mathilde de Morny, surnommée « Missy », avec qui elle monte sur scène dans des cabarets. 

Ses œuvres littéraires connaissent un succès retentissant parce qu'elles sont pimentées d’un parfum de scandale lié aux allusions sexuelles qu’elles comportent. Ses livres les plus connus sont : Claudine à l’école (1900), Chéri, (1920), Le Blé en herbe (1923). 

Colette est une figure de la femme libre, indépendante, parfois scandaleuse, et assumant ses contradictions : elle s’oppose au mariage, mais se marie trois fois ; elle s’affiche auprès des suffragettes, mais ne croit pas au rôle politique des femmes.

2) Contextes historique et culturel des œuvres

1. Les Vrilles de la vigne (1908) : la Belle Époque est une période qui va de la fin du XIXe siècle à 1914, début de la Première Guerre mondiale. La France se relève de sa défaite contre les Prussiens non sans une certaine amertume. Mais c’est une période de paix et de progrès techniques et scientifiques (mais aussi d’inégalités sociales) avec : l’électricité domestique, la radio, le cinéma, l’automobile, etc. Cette période est également marquée par la poursuite de l’industrialisation et de l’urbanisation. 

Dans les arts, c’est la fin des romans naturalistes (Zola décède en 1902) et le début de formes littéraires novatrices : Proust travaille aux romans de À la recherche du temps perdu, Guillaume Apollinaire publie Alcools en 1913. L’impressionnisme laisse la place au fauvisme et au cubisme (Les Demoiselles d’Avignon, 1907, Picasso). La femme est juridiquement sous la tutelle de son mari et n’obtiendra le droit de vote qu’en 1944. Bien que l’homosexualité masculine et féminine soit un sujet tabou, plusieurs auteurs, dont Colette, abordent le sujet dans leurs œuvres et n’hésitent pas à s’afficher en public. Colette épouse un temps, la mode des « garçonnes » : une « garçonne » est une femme qui se joue des codes de la masculinité en portant des cheveux courts, s’habillant en smoking, fumant des cigares et entretenant des ambiguïtés sur sa sexualité.

2. Sido (1930) : Les Années folles (1920-1931) sont les années d’insouciance et de prospérité économique qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Cette période s’achève avec le krach boursier d’octobre 1929. La fièvre du jazz, d’origine afro-américaine s’empare de l’Europe. Paris est alors la capitale mondiale de la culture : on y trouve des artistes telles qu'Hemingway (Paris est une fête [1928]), Joséphine Baker, Coco Chanel, le dadaïsme, le surréalisme…

II. Les titres

Sido  est issu du prénom de sa mère, diminutif du prénom Sidonie que l'auteure porte aussi : cet hommage dit l’importance, pour l’auteure, de cette mère aimante, femme libre et proche de la nature. Dans une vision un peu cosmique, Colette voit sa mère au centre des points cardinaux, commander aux vents. Les Vrilles de la vigne est le titre du premier texte du recueil qui en comporte dix-huit. Il s’agit d’un conte dans lequel un rossignol est obligé de chanter la nuit pour éviter de s’endormir afin d’échapper aux vrilles de la vigne qui s’entourent autour de ses pattes. Il s’agit là d’une allégorie de l’écrivain qui est obligé d’écrire pour être libre.

III. Structure et résumé de l'œuvre

Sido est une œuvre composée de trois chapitres : 

- le premier, sans titre, est consacré à sa mère,

- le chapitre « Le Capitaine » est consacré à son père,

- le chapitre « Les Sauvages » est consacré à ses frères et au mariage de sa sœur. Colette rend responsable cette dernière de la vente de « Saint-Sauveur », la propriété familiale, alors que d’autres sources avancent que c’est leur mère, trop dépensière, qui a acculé la famille à cette extrémité. 

Aux souvenirs de cette période heureuse de l’enfance, s’ajoutent les souvenirs de son frère Léopold qui est, toute sa vie, resté très attaché, très nostalgique au village de leur enfance. Sido est donc un récit d’enfance autobiographique, souvent lyrique.

Les Vrilles de la vigne est un recueil de 18 textes d’une grande diversité : un conte, trois textes sensuels dédiés à la « M. » (Mathilde de Morny ou Missy, sa relation amoureuse), puis des textes réintroduisant le thème de l’animal comme un dialogue entre un chien et une chatte, puis des textes qui évoquent des personnages de Colette apparus dans d’autres œuvres, suivis de trois textes consacrés à des séjours à la mer, pour finir sur un ensemble de textes ayant pour thèmes le music-hall (chroniques) et les mondanités (anecdotes). L’ensemble de ces textes est disparate mais presque tous sont autobiographiques. On peut également parler de prose poétique pour certains textes.

IV. Le parcours : célébration du monde

Il faut s’interroger d’abord sur le sens de cette expression polysémique : que veut dire « célébrer » ?

« Célébrer » signifie, tout d'abord : louer, glorifier, vanter, exalter ; en somme, parler de quelque chose avec émotion et gratitude (à l'aide d'un vocabulaire mélioratif). L’écriture de Colette est heureuse car elle évoque les souvenirs heureux de son enfance. Elle glorifie le monde de son enfance : la figure de sa mère, le jardin de la maison, la nature (dans Les Vrilles de la vigne). Même les textes qui se veulent un peu moqueurs sont écrits avec une prose amusée.

Mais « célébrer », c’est aussi « fêter ». On peut voir ce récit un peu désordonné comme une fête des souvenirs de son enfance. La fête doit multiplier les plaisirs avec la belle prose poétique des trois textes qui tutoient sa dédicataire et amante : « Nuit blanche » ; « Jour gris » ; « Le dernier feu » mêlent étroitement souvenir du plaisir sensuel et jouissance de la parole amoureuse devenue texte poétique. Il y a, également, une fête des sens : le sens du toucher vient d’être évoqué ; la piste des autres sens doit être étudiée car les sensations sont très importantes dans les textes de Colette. Notre rapport au monde extérieur se construit sur nos sensations.

De plus, « célébrer » a un sens religieux aussi : Colette et sa mère étaient totalement athées mais il peut être fécond de s’interroger sur la dimension divine de la figure de la mère (comme « toute puissance » maternelle).

Également, célébrer poétiquement signifie le fait de créer par les mots un temps passé, perdu : c'est à travers les mots, que ce temps revit éternellement pour le lecteur.

Pour finir, il est question aussi de célébrer le monde. Mais quel monde ? Le monde sensible qui nous entoure : les phénomènes naturels, les vents, les pluies, le soleil, les végétaux, les animaux, les humains… Dans ces œuvres au programme, le monde c’est d’abord le jardin fermé de Saint-Sauveur. L’hortus conclusus, le jardin fermé protecteur de l’enfance qui contient et protège tout ce qu’il y a de plus beau : « sanguines fille du rosier ; hortensias, un bosquet de lauriers dominé par un ginko biloba ». Mais c’est un paradis perdu que seule l’écriture peut ressusciter (cf. mythe d’Orphée) : « j’appartiens à un pays que j’ai perdu » (dans « Jour gris ») ; et : « Mon imagination, mon orgueil enfantins situaient notre maison au centre d’une rose de jardin, de vents, de rayons, dont aucun secteur n’échappait tout à fait à l’influence de ma mère. » (dans Sido)

V. Les thèmes et mots-clés

  • Autobiographie : récit d’un individu raconté par lui-même. Il y a donc une identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage. C’est un genre littéraire qui commence souvent par un texte dans lequel l’auteur explique sa démarche et s’engage à dire la vérité avec sincérité.
  • Nature : la nature est omniprésente dans les œuvres de Colette. Jardin, campagne, animaux domestiques, phénomènes météorologiques, qualité de la lumière du jour : sont des thèmes présents.
  • Lyrisme : expression poétique des sentiments, exaltation des passions. C'est le mot dérivé de « lyre », qui est un instrument de musique scellant l’union de la poésie, des sentiments et de la musique. À noter : nous pouvons nous intéresser au mythe d’Orphée.
  • Prose poétique : genre littéraire qui se présente visuellement comme un texte en prose (il n'y a pas de rimes, pas de présentation en strophes) mais qui utilise les procédés de style du texte poétique : des vers insérés, des anaphores, des métaphores, des jeux sur les sonorités, des effets rythmiques, etc. Conseil de lectureLes Petits Poèmes en prose (1869) de Charles Baudelaire.