A quoi sert une œuvre d'art ?

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A) L’art est inutile

L’œuvre d’art est un objet sensible, c’est-à-dire qu’il s’adresse à mes sens, mais contrairement aux autres objets, je ne l’utilise pas. C’est pour cela que Kant explique dans la Critique de la faculté de juger que le plaisir esthétique (qui vient de la contemplation d’une œuvre d’art) est un plaisir désintéressé : ce n’est pas la consommation ou l’utilisation de l’œuvre d’art qui me procure du plaisir dans l’expérience esthétique.

L’art se définit donc par sa fin, qui est non utilitaire. En fait, la plupart des œuvres d’art avaient une utilité au moment de leur création, mais c’est une fois que cette utilité s’est estompée qu’on peut véritablement dire que l’œuvre est une œuvre d’art.


Exemple

Le Tympan du Jugement Dernier de l’abbatiale de Conques avait pour but de susciter chez l’observateur la peur du Jugement et de l’Enfer, afin qu’il conforme sa vie aux préceptes de l’Église.

Cela signifie donc qu’en droit, tout peut être une œuvre d’art. Ce qui définit une œuvre d’art, c’est d’abord le rapport respectueux, mis à distance, désintéressé que j’entretiens avec elle. C’est d’ailleurs ce que veut signifier Marcel Duchamp (1887-1968) quand il cherche à exposer en 1917 à New York son œuvre Fontaine, qui n’est autre qu’un urinoir renversé, c’est-à-dire l’objet le plus banal et trivial qui soit.

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Marcel Duchamp, Fontaine, 1917

B) Juger le beau

Si, en droit, tout peut être une œuvre d’art, qui décide alors qu’une œuvre est une œuvre d’art ? Quand j’estime que quelque chose est beau, quand je juge de la beauté d’une œuvre, tout le monde doit-il être d’accord avec moi ?

Kant, dans la Critique de la faculté de juger, explique qu’il faut distinguer le beau (par exemple, « La Joconde est belle »), de l’agréable (par exemple, « ce vin est très bon »). Ces deux phrases constituent un jugement, qui consiste à qualifier un sujet (« La Joconde » ou « ce vin ») au moyen d’un prédicat (« belle » ou « très bon »). De plus, ces jugements sont tous les deux subjectifs : même dans le cas de La Joconde, la beauté n’est pas une propriété de l’objet que je juge beau (si je dissèque ce tableau, je ne trouverai jamais une propriété chimique qui serait la beauté), ce n’est donc pas un jugement objectif.

Néanmoins, si nous acceptons très bien que le jugement du caractère agréable d’un objet soit particulier (« les goûts et les couleurs ne se discutent pas »), pour le beau, nous jugeons comme si tout le monde devait être d’accord avec nous. Le jugement esthétique est donc un jugement subjectif universel, dans le sens où il est universalisable : je sais que mon jugement ne va pas être partagé par tous, mais je juge comme si c’était le cas.

Remarques

Une même œuvre peut faire l’objet d’un jugement esthétique (sur le beau) ou d’un jugement sur son caractère agréable. Ainsi, si on utilise Le Printemps d’Antonio Vivaldi comme musique d’attente, on le fait pour son caractère agréable, alors que si on l’écoute pour lui-même, celui-ci fait l’objet d’un jugement esthétique.

De plus, une œuvre belle peut être en même temps assez désagréable, comme le poème « Une Charogne » de Charles Baudelaire (1821-1867) qui convoque des images de putréfaction et de corps mort.

Repères

Objectif/subjectif

Est objectif ce qui se rapporte à l’objet de la connaissance. Un jugement objectif ne dépend pas du sujet qui l’énonce et est donc nécessairement universel.

Est subjectif ce qui se rapporte au sujet de la connaissance. Un jugement subjectif devrait donc toujours dépendre du sujet qui l’énonce et être particulier, mais le jugement esthétique chez Kant est à la fois subjectif et universel.

Universel/particulier

Est universel ce qui vaut en tout temps et en tout lieu, c’est-à-dire ce qui ne souffre aucune exception.

Est particulier ce qui appartient en propre à un individu ou à un groupe restreint d’individus.